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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/348

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RÉCITS DE PASSANTS

tailleur du Minihy, l’homme qui me rejoignit si étrangement sur la route de Belle-Isle à Confort, je le rencontre quelquefois, car il est encore de ce monde, mais je ne fais pas semblant de le reconnaitre et je passe outre : je ne puis pas prendre sur moi de lui pardonner. S’il ne m’avait frôlé de son aile d’oiseau de mauvaise augure, Néa, j’en suis sûr, eût vieilli heureuse à mes côtés et, après avoir dormi jusqu’au bout dans le même lit, nous nous fussions couchés l’un près de l’autre dans la même tombe. Cette grâce qui ne nous a pas été accordée, je vous la souhaite à vous et à votre femme, ôtrou !… »

Son histoire terminée de la sorte en fin de sermon, conformément, du reste, à la tradition des vieux conteurs de Basse-Bretagne, Laurik s’en est allé, appuyé sur son béton de houx, en marmonnant une vague prière. Je l’ai suivi longtemps des yeux, et longtemps après son départ je suis demeuré triste. Je ne sais rien qui dise mieux, avec une ironie plus puissante, l’inanité des rêves de l’homme qu’un mélancolique récit d’amour entendu des lèvres d’un vieillard.