Page:Le Centaure, I, 1896.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II


Voici mon cœur saignant comme un oiseau blessé
Dont les passants bourrus auraient coupé les ailes ;
Le veux-tu dans tes mains pour qu’aux clartés nouvelles
Il redevienne jeune et libre du passé ?

La splendeur du soleil sur les épis dorés,
Vit dans tes cheveux blonds au vent en éclairs d’or...
Ai-je tort de t’aimer ? Peux tu m’aimer encor ?
Je ne suis qu’un tombeau plein de débris brisés.

Les palais d’autrefois que, songeur patient,
Je bâtissais afin d’y cloîtrer mes ennuis,
Pour être merveilleux n’ont été que maudits :
La ruine elle-même est cendre maintenant.

Ceux que dessine au loin par des contours de brume
Mon esprit inquiet d’un avenir plus beau
Sont trop vagues, voilés par le prochain tombeau
Dont l’ombre éteint là-bas tout soleil qui s’allume.

Seul donc et fatigué d’être si seul encor,
Morne de n’avoir vu l’amour qu’en mascarade
Je mène à toi mon vœu comme on mène en la rade
Le vaisseau balloté qui cherche un nouveau port.

Je ne sais si tu dois répondre à ma détresse,
Mais le gouffre est trop noir qui dans mon cœur se creuse,
Et je ne veux savoir que ta beauté rêveuse
Pour rêver auprès d’elle un rêve de tendresse.