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Page:Le Conteur breton - 15 décembre 1866.pdf/2

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MARIE LA FILEUSE

OU

LES TROIS FLEURS DES CHAMPS.


Légende.


I.

Il y avait autrefois dans le pays de Kerambilis en Bretagne, une goûte et douce jeune fille qui se nommait Marie. Elle était pauvre, Lien pauvre, m ais elle était toujours accorte et joyeuse, et jamais Je proverbe ne s’était mieux appliqué q u ’à Marie la Pileuse, ainsi la désignait-on, car elle filait d u matin au soir, et d ’u n e main aussi agile et aussi gracieuse que la reine Berthe aux grands pieds, bien q u ’elle n ’eût pas comme elle de légers fuseaux d ’argent, et que sa quenouille fût plus souvent chargée de chanvre que de lin. Marie était orpheline ; elle avait p o u r père Celui qjii donne aux petits oiseaux le grain qui les fait vivre, et .aux hommes le pain du chaque jo ur. Elle s’était donné pour m ère la Vierge Marie sa patronne, et sous ces protections puissantes et d i­ vines, elle 11e redoutait ni pièges des hommes ni embûches du démon.

Marie habitait à l’entrée d ’un village une cabane étroite et mesquine que son o rd re avait ren du e p roprette et com ­ mode, et que ses chansons égayaient, Marie, sans am bition, sans désir, se trou vait heureuse et n ’eût pas échangé son sort contre celui de Mme Berthe de Bretagne, la haute et puissante suzeraine de son pays. Or, il advint que le prem ier jo u r du mois de m ai Marie la Fileuse alla q u é rir dans un coin de sa chaum ière une petite escarcelle où elle avait déposé ses faibles épargnes et q u’elle avait ramassées précieusem ent, afin que la tentation ne lui vint pas de dépenser son trésor en brinborions et en colifichets, comme les autres filles des campagnes qui 11e songent q u ’à se faire braves les dimanches.

Marie re è tit ses plus beaux atours, et soupesant son escar­ celle, elle se p rit à sourire.

— J ’ai bien là de quoi fêter dignement Notre-Dame, d itelle en attachant à son côté la précieuse aum ônîèré. Marie sortit de sa cabane, dont elle ferma soigneusement la porte, puis, ayant traversé le village, elle se dirigea à tra ­ vers champs vers la dem eure d ’un ja rd in ier fort en renom à cette époque et dont les fleurs, grandem ent prisées p ar les seigneurs descastels voisins, se vendaient des sommes folles. Depuis plus d un an, Marie la gonte fileuse économ isait sur le prix de sou tr a a il pour pouvoir acheter, le p rem ie r jo u r de mai, un splendide bouquet d ont elle voulait faire hommage à son auguste patronne. La somme q u ’elle avait amassée se m ontait a six livres. Il sem blait à la naïve enfant q u’avec un pareil trésor elle au rait le dro it de fourrager tout à son aise dans le vaste enclos fleuri de m aître Salaün Priskel. Mais voici qu au moment où Marie allait s’engager dans le sentier bordé de haies bien entretenues qui annonçait le voi­ sinage du ja rd in ie r, elle entendit une voix douce et triste dire à quelques pas d ’elle :

.7 7 *a r ’e

Eih’use, vous qui ôtes si gente et si brave, ayez pitié d ’une pauvre créature qui s’en va expirer de besoin si vous 11e l’assistez.

Marie se détourna et ap erçut étendue sur le bord du sen­ tier une femme m aigre, pâle, couverte de haillons, et q u’elle eut peine il abord à reconnaître pour une jeune fille du pays qui avait quitté Kerambilis, il y avait plusieurs années, pour aller d em eurer dans les villes. —. Est-ce bien vous, Nine ? dem anda Marie, la considérant avec étonnement.

— Oui, c est bien moi, Marie ; vos yeux ont peine à recon­ naître (elle que Io n appelait la bien alournée’, que voulez-

vous : je croyais tro uv er bonheur et fortune en la ville, mais je n ’y ai rencontré que mécompte et misère, et je m ’en suis revenue usée avant l ’âge, flétrie p ar le chagrin. Restez au village, Marie, et ne rêvez oneques g ra n d e u r . Fille des champs doit m o urir aux champs.

— Je ne songe à rien autre chose q u’à faire la volonté de Dieu dans ce monde et mon salut dans l’au tre , répondit Marie dont l àme pure et naïve se reflétait dans ses grands yeux lim ­ pides et bleus arrêtés avec commisération su r la pauvre voyageuse.

— Vous m ’avez demandé assistance, Ni ne, ajouta la fileuse en plongeant la main dans son aum ônière, je ne suis ni riche ni puissante vous savez, mais le peu que j ’ai, je vais le partager entre vous et m adam e la Vierge, à qui je désire, au com men­ cement de ce mois, faire un cadeau qui lui soit agréable.

— Ce disant, Marie glissa dans la main de l’infortunée Nine la moitié de son petit trésor, et la saluant d ’un doux et am ical sourire, elle s’éloigna en disant :

— Je suis bien navrée, Nine, m a pauvre chère, de n ’avoir pas mieux à vous offrir.

— Grand merci, Marie, s’écria Nine en se relevant avec peine, ce léger secours me suffira pour attendre que ceux qui ont employé mes mains autrefois veuillent Jbicn me faire tra ­ vailler en c o re ; Dieu vous le ren d ra, m a mie. II.

Marie entendit à peine ces dernieres paroles ; elle s’était élancée dans le sentier, vive et légère comme l ’alouette des blés, et elle ne ta rd a pas à frapper à la porte de maître Salaün.

— Bonjour, gente fileuse, dit le ja rd in ie r en apercevant la jeune fille.

— A vous pareillem ent, m aître Priskel, répondit Marie en m ettant le pied su r le seuil du logis.

— D’où nie vient la joie de te voir si matin, ma belle fille ? re p rit Salaùn, dont la figure rubiconde et le placide sourire ne parvenaient pas à dissim uler un m ot écrit fout entier dans les plis de son front, e t que Marie seule peut-être, l’innocente jeune fille, ne savait pas lire. Ce mot, c’était égoïsme.

— Je suis venue parce que c’est a u jo u rd ’hui le p re m ier mai, et q ue je voudrais aeheter un bouquet. Et tout en parlant, Marie avait suivi Salaün ju s q u ’à l’entrée de son vaste em pire, et ses yeux ravis p arco uraient les platesbandes, où brillaient roses, pensées et jonquilles. Tandis q u ’elle s’enivrait du parfum des lilas et des m uguets :

— Tu veux un bouquet, jouvencelle, r e p r it Salaün dont le regard tom ba de suite su r l’aum ônière de la fileuse, et quelles fleurs te faut-il ?

— Oh ! les plus belles, s’écria Marie, c’est, p ou r madame la Vierge.

— Les fleurs sont chères, m a mie, fit entre ses dents m aître Priskel. qui, tout en parlant, arrachait une mauvaise h erb e ou redressait les branches d ’un arbuste.

— Oh ! ne craignez rien, j ’ai de l’argent ! 11 m ’a fallu dé­ penser trois livres en route, mais il me reste encore dans mon escarcelle assez pour avoir un joli bouquet.

— Ne p o u rrai-je savoir combien il te reste, m a mie ?

— Juste la somme égale à celle que j ’ai dépensée en venant chez vous, trois livres.

— Trois livres ! Tu as trois livres ! s’écria Salaùn avec un dédaigneux sourire, c’est à peine le prix d ’une de mes roses.

— Ah ! mon Dieu ! fit Marie, dont les bras to m bèrent de stupéfaction.

— Tu auras un bouquet pour tes trois livres, m a fille, mais de fleurs rares et choisies, n ’en espère pas.

— Vous me donnerez bien au moins quelques-unes de ces belles roses blanches, dit Marie d ont les yeux restaient fixés, depuis son arrivée, su r des rosiers chargés de roses de la plus grande variété et du plus brillant éclat.