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JOURNAL DES FAMILLES.

— Mes roses Ducales et mes roses Berthe ! s’écria avec une sorte d’indignation le jardinier qui, pour donner plus de prix à ces magnifiques fleurs, les avait gratifiées de noms puissants, de noms chers aux Bretons ; je préférerais les voir toutes se faner sur l’arbre que de les vendre à un si vil prix.

— C’est pour madame la Vierge, dit timidement la jeune fille.

— Quand ce serait pour le bon Dieu lui-même, mes fleurs ne seront pas vendues trois livres, fit Salaün avec colère. Au reste, toutes ces roses sont retenues par les châtelaines de Kerambilis, de Peulvcn et de Guionec, qui en veulent orner leurs chapelles, et je ne peux en disposer.

— Pas même d’une ? fit Marie attachant sur les belles fleurs un regard de regret et d ’envie.

— Non, dit froidement Priskel.

— Ah ! fit Marie, vous êtes d u r, m aître Salaün.

— Pourquoi vous obstiner à vouloir ces roses, Marie, ne pouvez-vous choisir parmi mes autres fleurs ? Une fille de votre condition a-t-elle des sommes folles à mettre dans des bouquets ?

— Que l’on soit fille de vilain ou noble dame, rien ne semble trop beau pour la reine du Ciel, répliqua doucement Marie la Fileuse. À doncques, puisque pour mes trois livres vous ne pouvez me bailler que fleurs communes et mesquines, je chercherai pour ma patronne autre présent qui la puisse contenter.

Parlant ainsi, la jeune fille fit quelques pas pour se retirer.

— Vous partez, Marie ? ces boutons d’or, ces pervenches, ces primevères si bien veloutées ne vous tentent pas ?

— Toute cette bigarrure n’est point digne d’une grande sainte comme ma patronne, répondit la jeune fille avec un dédaigneux mouvement de tête. Adieu, maître Salaün. Au moment où Marie la Fileuse mettait le pied sur le seuil de la porte conduisant au dehors, elle se retourna vers le jardinier :

— Maître Salaün, prenez garde, dit-elle d’une voix pleine d’une douce gravité, le bon Dieu ne bénit pas ceux qui ne sont pas bons pour les pauvres.

Et tandis que m aître Priskel restait tout étourdi de cette apostrophe auquel il ne s’attendait pas, Marie disparut dans le sentier.

III.

Tant qu’elle avait été en présence du jardinier, Marie avait contenu son chagrin ; mais maintenant qu’elle se voyait seule, elle le laissait déborder. De grosses larmes roulèrent lente­ment sur ses joues devenues subitement pâles, elle croisa ses mains su r sa poitrine, en murmurant ces paroles :

— Parce que je suis pauvre, je ne pourrai donc pas, ma­ dame Marie, vous fêter dignement en ce jour ! Quiconque eût vu revenir Marie n’eut pas reconnu cette gaie jouvencelle qui peu d’instants auparavant parcourait le sentier d’un pas si alerte et si joyeux. Elle allait le front assombri, le regard baissé vers la terre, secouant par intervalle sa légère escarcelle comme pour constater qu’elle ne contenait bien que trois livres. Un soupir douloureux s’échappait de sa poitrine et se terminait en une faible plainte.

Soudain Marie s’arrête : elle vient d’apercevoir au pied de la haie qui borde une prairie voisine une m ultitude de petites fleurettes bleues qui se cachent à dem i sous un épais feuillage.

— Voilà de jolies fleurettes’, pensa Marie ; elles, du moins, sont d une couleur qui convient à la Vierge ; je m ’en vais lui laire un bouquet, et pour que Notre-Dame soit tout à fait con­ tente, je baillerai mes trois dernières livres à Nine, la pauvre brebis revenue au bercail.

En un clin d ’œil Marie, la gente fileuse, eut fait ample mois­ son de violettes, et les gentilles fleurs tom bèrent p êle-m êle dans tine corbeille q u’elle avait à son bras. Marie jeta un rapide regard au-dessus de la baie. La p ra i­ rie qu elle bordait était toute blanche de pâquerettes.

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Encore une mignonne fleur que la Vierge doit aim er, pensa la jeune fille, qui ne fit qu’un bond du sentier dans le champ. Petites pâquerettes aux pétales to u t blancs, au cœ u r d’or, vinrent se m êler aux gentilles violettes. Marie allait revenir dans le sentier, mais au bout de la prairie il y avait un champ où le blé commençait à croître, et entre chaque sillon se m ontraient des masses de petites étoiles blanches.

— Ah ! la fleur des blés, dit Marie qui se mit à fourrager de plus belle.

Ce sont là toutes fleurs bien simples pour une si grande sainte, dit Marie en revenant fatiguée de sa cueillette vers le sentier, avec sa corbeille garnie jusqu’aux bords de vio­lettes, de marguerites et de fleurs des blés. Et elle soupira, car elle venait de se rappeler les belles roses blanches de maître Salaün.

— Las ! dit-elle en passant sa main sur son front mouillé de sueur, vous ne m ’en voudrez pas, madame Marie, car je ne pouvais mieux !

Alliete de Ruays.

(La suite prochainement.)


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LES

ODEUES

IDE

P A R IS

Par M. Louis Ve i t i l l o t .

L’au tre jo u r, un d e mes amis me rencontre et m e dit d ’un air to ut j jy e u x : — As-tu lu les Odeurs de P aris ?

— Oui.

— Mon cher, ce livre fait un tapage du diable ; on en parle dans Landerneau

— Tant mieux.

— Qu’en penses-tu ?

— Que c’est un vigoureux écrit, que l’ex rédacteur de l ’Univers m anie jolim ent la plum e, et que les volées de bois vert q u ’il distribue p a r-c i et pa r-là cassent pas mal de bras et de jam bes.

— Il y a des ireintementt superbes ! Celui de « NonotfeJourdan, » p a r exemple, et des « cacographes du Siècle, » l ’excellent jo u rn al entré p ar hasard chez l’a u teu r avec « un ressemelage de ses vieux souliers. »

— Très-bien réussi. On s’en tient les côtes à force de rire ; mais je voudrais bien savoir si le « com père Jourdan » rira jaun e ou vert, et ne voudrait pas encore les souliers ferrés du doux Louis Veuillot chez le cordonnier. Et nous continuâmes de causer gaiement, car il est difficile de ne pas se faire un verre de bon sang en lisant ce livre. Non pas que tou t soit comique et narquois. Parfois le rire s’éteint su r les lèvres d u satirique, et la plaisanterie, s’éle­ vant su r les ailes de la pensée, se transforme en un sanglot, et atteint les plus grandes hauteurs :

« Les homm es de la Révolution ont en la rage de faire pas­ ser des rues su r les sanctuaires q u ’ils avaient démolis. Ils se sont dérangés pour accomplir cette chère besogne,-ils ont s a ­ crifié même leur bien-aimée ligne droite.

« On continue. Dans le Paris nouveau il n’y au ra plus de dem eure, plus de tom beau, plus même de cimetière. Toute maison ne fera q u ’une case de cette formidable auberge où to ut le monde a passé et où personne n ’a souvenir d ’avoir vu personne.

« Qui h abitera la maison paternelle ? Qui priera dans l’é ­ glise où il a été baptisé ? Qui connaîtra encore la cham bre où il entendit un p rem ier cri, où il reçut un d ern ie r soupir ? Qui p o u rra poser son front su r l’appui d ’une fenêtre où jeune il au ra fait ces rêves éveillés qui sont la grâce de l’au rore dans le jo u r long et sombre de la vie ? O racines de joie arrachées de l’âm e hum aine ! Le temps a m arché, la tombe s’ost ouverte, et le cœ ur qui b attait avec mon cœ u r s’est endorm i ju squ ’au réveil éternel. Pourtant quelque chose de mes félicités mortes habitait encore ces humbles lam bris, chantait encore k cette