Page:Le Conteur breton - 15 décembre 1866.pdf/5

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
56
JOURNAL DES FAMILLES.

pourtant écrire un entrefilet ! « L’honneur est satisfait, » voilà tout ce qu’il est nécessaire d’écrire.

Nous eûmes, il n’y a pas longtemps, un de ces spectacles héroïques. Ce fut très-émouvant.

Les habits avaient été ôtés jusqu’aux bretelles, les épées prises en main. Des complications surviennent. L’un des p a r­ tis n’était pas su r de l’identité de l’au tre, et pensait, non sans motif, n’avoir en face q u’un fondé d e pouvoirs. Les témoins discutent un peu chau dem en t ; les adversaires, plus amis de la paix, séparent les tém oins... La suite au prochain numéro. Dans le numéro suivant, cela se rengage : nouvelle suite ; le public est palpitant, le feu se rallum e, l’in térêt g randit, à de­ main. Rien n’est conclu ; le public ne parle plus d’autre chose ; à demain su r le pré ! On rem et bas les habits ju sq u’aux b r e ­ telles, on quitte même les bretelles, on prend le fer, on croise le fer, le feu jaillit du fer. Une, deux ! I ne, deux ! On rom pt, 011 pousse, le rom pant pousse, le poussant rom pt. Une, deux ! Bottes portées, bottes parées, vli, vlan ! Bottes par-ci, bottes par-là, bottes partout ! Flic, flac ! encore des bottes ! Que de bottes, que de feu dans le fer, que de fer dans le feu, que de feu au cœ u r ! La sueur coule, on ne l’essuie pas ! Enfin, l’une de ces cruelles épées touche l’un de ces cruels homm es ; le sang va pa raître ... Arrêtez, im prudents ! L’honneu r est satis­ fait !

Le blessé a perdu quelques poils d u sourcil gauche.

l’aide à contenir son juste ressentiment. Je dis plus, ne le dé­ sirez point. L’habitude que les honnêtes gens p ren draien t de se laisser traîn er dans la boue to u rn era it tout au profit des coquins.

Qu importe, dit Un Tel, jjui s’est élevé p ar degrés et publiquem ent au rang des drôles les plus au th en tiq u es, qu importe la m émoire cent fois rafraîchie de mon itin é ra ire ? Il y a pins diflamé que moi, et c’est le plus honnête homm e de France !

Il n est pas bon qu’f/n Tel puisse raison n er ainsi. Que le chrétien endosse encore cette avanie de la vie p u ­ blique, q u’il subisse ces ignominies d’autant plus fréquentes et violentes que l’on sait q u’il ne les châtiera pas : il le faut bien. Il ne peut dem ander réparation, il p o u rrait avoir to rt de dem ander justice. De quel droit parles-tu ? Qui t’a ren d u si h ard i de défendre tes superstitions ? Pourquoi fais-tu la guerre, homm e de paix ? Va te cacher dans ta sacristie !... Mais je ne saurais d ire à quel point j’adm ire ces fanfarons de la Libre-Pensée, qui ne croient p oin t en Dieu, qui font entre eux assaut de gentillesses im pies, qui se m oquent à plum e que veux-tu des crédulités chrétiennes, qui ne veulent pas du tout convenir que le duel est crim e, et qui, s’étant rendus su r le pré, en reviennent intacts, après avoir b rûlé le u r pou d re aux moineaux.

Qu’alliez-vous faire là ? C’est à toi que je m’adresse, Jean Farine, q u i, retroussant ta moustache et rafferm issant ton l

n personnage très-bon en ces occurrences, c’est le Chœur cœ ur, es venu comme un beau Rodrigue provoquer don Scades journaux, qui se mêle à l’aven tu re comme dans le dram e pin ?

antique. Il dit véritablem ent les choses les plus sensées. Il

— Don Scapin, d it Jean F arine, avait contesté mon in d é ­ trouve absurde de faire de tels vacarm es et de donner de tels pendance e t sifflé mes alexandrins. P o u r attester au m onde jeux au public qui s’en amuse trop. Il est fécond en raisonne­ entier que je sais g ard e r m a foi politique et que je m’entends ments parfaits sur le duel, notam m ent su r le duel entre jo u r­ à fab riq u er les vers, j’ai voulu tu e r don Scapin. Ainsi l’exi­ nalistes : Comment ! vous laites m étier de franc-parler, vous geait l’honneur.

ne vous estimez jamais assez libres de ju g e r toutes choses et

— Scapin est-il m o rt ?

toutes gens, et voilà que vous voulez b rid er de fer la bouche

— Non ; mais j’ai tiré su r lui. Le coup a fait u n b ru it h o r­ qui vous juge ou qui seulement vous contredit ! Et vous en rible. On a entendu la balle. Quelles émotions ! Tous les jo u r ­ appelez à la force, an jngem ent de Dieu, comme au moyen naux en parlen t. Voilà mon indépendance dém ontrée e t mes Age ! Et ce sont des leçons d’escrime q u’il faudra prend re lors­ vers vengés,- l’h o n n eu r est satisfait. que l’on voudra raisonner contre vous ! Et l’on ne p o u rra pas

— Et toi, Scapin, mon gentilhom me, que d it ton h o n n e u r ? dire que vous êtes de minces écrivains, sans s’exposer à la

— Satisfait. Jean Farine est un brave. Je l’avais traité de nécessité de m ettre bas son habit et d’ô te rroèm e ses bretelles, bélître et d’oison qui ne faisait des vers que p o u r être traîné même en décembre, et risq u e r de p erd re u n poil ou d’a ttra ­ su r les douze pattes dans les pâturages du budget. Mais, du per un rh u m e ? Mais alors, que reprochez-vous aux gens plus m om ent q u’il tire des coups de pistolet, je l’estime galant forts que vous qui vous font payer l’am ende, vous je tte n t en homme, bon citoyen et l’un des p rinces de la poésie à douze prison, et p a r dessus le m arché vous ferm ent la bouche dès pieds.

que vous contestez le u r politique ou leurs talents ? Ces gens-là, - • Ainsi, tu retires ta prem ière opinion ? tout simplement, usent de leur force, comme vous usez de la

— N ullem ent ! Je la m aintiens ; mais je déclare q u’il y a vôtre.

eu m alentendu.

Ainsi parle le Chœur, et il a bien raison. Mais il faut que

— Ailleurs que su r le te rrain , au ra is-tu déclaré ce m alen­ l’honneu r soit satisfait, ccla est sans réplique. Il faut échanger tendu ?

une balle, il faut ô ter son habit, il faut q u’un poil soit a r r a ­

— Jamais ! L’honneur ne l’eût pas permis.

ché de quelque partie du corps.

— Quel honneur ?

Et tel qui vient de chanter si sagem ent dans le Chœur, d e ­

— Le mien. P ou r le m ettre à couvert, il fallait le coup de main, s’il a quelque démêlé tant soi peu public, ne prendra pistolet de Jean F arine.

pas de repos q u’il n’ait p erd u ou tiré son poil.

— Et si le pistolet de Jean Farine avait raté, et’si l’h o n ­ Est-ce pour cela q u’on appelle en français brave à trois poil*, n e u r de Scapin s’était trouvé mal couvert, q u’a u rait exigé le lier luron qui va partout, la main su r son épée, illustré de l’honn eu r de Jean F a rin e ? poils conquis ou magnifié de poils perdus ?

— Que Scapin tirâ t à son tou r et Jean Farine une seconde Je ne veux pas m’étendre su r le duel. Non chrétien, j’en fois.

parlerais au trem ent que les philosophes et les légistes. Je le

— C’eût été plus beau ! Scapin.

considérerais comme le d ern ier rem p a rt de l’individu dans

— C’eût été plus long. Jean Farine et m oi, nous avons des une société dém ocratique, c’e st-à -d ire impolie et pleine de affaires, nous sommes des travailleurs. Pourquoi deux coups méchants personnages qui oseraient tout contre tout le monde, de pistolet quand l’h o nneur n’en exige q u’un seul ? Fallait-il si l’on n’avait à leur m on trer la gueule du pistolet. Il faut se faire du m al ? Que voulait-on ? Satisfaire l’honneur. L’h on ­ quelque chose qui puisse in tim ider le tribu n, l’avocat, le lin eu r est satisfait. belliste, et cent autres espèces. Quoi ! je dem eurerai sans d é ­ Questionnez tant q u’il vous p laira ces raffinés, Scapiu et fense contre qui a u ra la langue mieux pendue ou le bras plus Jean F arine, ils ne sortiront pas de là : L’honneur est satis­ ro buste ? Il faut que je plaide p ou r o btenir une réparation fait ! Quelle satisfaction ? quel honneur ? L’on vous d it que dérisoire, ou qui même nie sera refusée ? Ne l’espérez point l’honneur est satisfait ! Les témoins le déclarent, le signent, d une àme un peu noble, à moins que la foi religieuse ne le m ettent dans les journaux. Ils sont compétents, sans doute !