Page:Le Correspondant, tome 236, 1909.djvu/815

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couchant, son disque brûlant à même les flots, flamboya cramoisi sous la noirceur de lourdes nuées de pluie. Le grain du couchant arrivant en poupe se fondit en le bref et cinglant déluge d’une averse. Le vaisseau en demeura luisant de la pomme des mâts à la flottaison, les voiles devenues gris sombre. Il courut largue à présent devant le souffle égal de la mousson, ses ponts dégagés pour la nuit, et, fidèle, à sa suite, bruissait le monotone et soutenu fouettement des vagues mêlé aux murmures étouffés des hommes rassemblés à l’arrière pour le réglage des quarts, à la plainte courte d’une poulie dans la mâture ou, parfois, à quelque plus forte haleine du vent.

M. Baker, sortant de sa cabine, jeta brièvement le premier nom du rôle d’appel avant de refermer la porte derrière lui. Il allait prendre charge du pont. Pendant le voyage de retour, d’après un vieil usage maritime, le premier officier prend le premier quart nocturne, de huit heures à minuit. C’est pourquoi M. Baker, après avoir entendu le dernier « présent ! » dit bourrument : « Relevez à la barre et à la veille » et grimpa d’un pas lourd l’échelle de poupe du côté du vent. Bientôt après, M. Creighton descendit, sifflant tout bas et entra dans la cabine. Sur le pas de la porte, le steward flânait en pantoufles, méditant, les manches de sa chemise roulées jusqu’aux aisselles. Sur le pont supérieur, le coq qui refermait les portes du rouf avait une altercation avec le jeune Charley au sujet d’une paire de chaussettes. On entendait sa voix qui s’élevait dramatiquement de l’ombre :

— Tu ne vaux pas qu’on te rende service. Je te les ai fait sécher et tu viens te plaindre des trous, en jurant par-dessus le marché ! à ma barbe ! Si je n’étais pas un chrétien, — ce que tu n’es pas toi, jeune ruffian, — je te mettrais une claque sur la figure… Fiche-moi le camp !

Par groupes de deux ou trois, des hommes se tenaient debout, pensifs, ou marchaient, silencieux, le long des pavois de mi-pont. Le premier jour d’activité d’un voyage retombait à la paix monotone des routines retrouvées. À l’arrière, sur la dunette, M. Baker marchait, traînant les semelles et grognant tout seul dans l’intervalle de ses pensées. À l’avant, l’homme de veille, debout entre les pattes des deux ancres, fredonnait un air qui ne finissait pas, l’œil dûment rivé sur la route, en un regard sans pensée. Une multitude d’étoiles, essaimant de la nuit claire, peuplèrent le vide du ciel. Elles scintillaient, semblaient vivantes, au-dessus des flots ; elles entouraient le navire en marche de toutes parts ; plus intenses que les yeux d’une foule attentive,