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déguiser sa pensée, c’est la femme la plus accomplie que je connaisse. Mais…

— Bon, bon, bon !… Je me charge du reste. Ce que vous allez dire, je le sais d’avance, mon cher monsieur. C’est la tendance au vieux garçon que les hommes ont tous au fond du cœur. Nous connaissons cela, nous autres. Pour les décider à se marier, il faut extirper cette vilaine racine. Les jeunes filles ne font point tant de façons… Eh bien, voilà qui est entendu. J’écris à votre mère aujourd’hui même…

— Mon Dieu ! madame…

— Écrivez, écrivez de votre côté, si vous le voulez. Cela ne fera point de mal. En ces sortes d’affaires, il faut surtout de la promptitude et de l’activité. Avez-vous vu faire des crêpes, mon cher monsieur ? En un tour de main, il faut les retourner. Eh bien, un bon mariage doit se faire comme une crêpe. De l’adresse et de la célérité, tout est là.

Si Frumand n’eût pas été d’avance entraîné vers Mme d’Oyrelles, il est à croire que Mme Magnin n’aurait point été de taille à le décider. Mais il y avait longtemps qu’il appréciait Jeanne, longtemps qu’il connaissait les vertus de Mme d’Oyrelles. Il pensa que Mme Magnin n’était que l’instrument futile dont Dieu voulait se servir pour accomplir une chose très grave, et, plus porté peut-être à la laisser faire qu’il ne voulait se l’avouer, il consentit à prévenir sa mère.

Fidèle à son système, enchantée de son succès, contente et même flattée de montrer ses talents à son cousin Rodolphe, Mme Magnin ne laissa rien refroidir. Les deux jeunes gens se connaissaient. Il n’y avait donc point lieu d’organiser des entrevues préparatoires. En huit jours, tout fut arrangé. Mme de Frumand fut appelée et endoctrinée sur les vertus de sa future belle-fille.

— Permettez-moi, disait Mme Magnin, de faire de votre fils l’homme le plus heureux du monde.

Frumand fut séduit. Il donna pleins pouvoirs à l’obligeante vieille femme qui, triomphante et respirant un nouveau succès, se présenta un matin chez Mme de Ferrand pour parler à Mme d’Oyrelles.

— Comme il est doux de faire le bien ! pensait-elle. Peut-on craindre sa peine quand on obtient de si heureux résultats !

Trop habile pour presser Mme d’Oyrelles, et sachant qu’une mère à laquelle on veut prendre sa fille passe toujours par un premier moment d’effroi, elle se borna dans cette visite à lui exposer la demande, appuyée seulement de quelques considérations générales sur M. Henri de Frumand et sur la profonde corrélation des idées et des caractères entre lui et Mlle Jeanne. Puis elle se retira :

— Je vous laisse, chère madame, je vous laisse à votre émotion