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Mme Magnin continuait à encourager le gros visiteur, mais elle évitait à dessein de timbrer sa voix qui n’arrivait plus dans l’antichambre qu’à l’état de murmure.

Enfin le père se retira. On voyait, à son air, qu’il était ravi de l’entretien et très soulagé d’avoir, en quelque sorte, déposé sa fille dans les bras secourables de Mme Magnin.

— Vous avez des lettres ? Donnez, dit-elle en s’avançant vers les deux domestiques.

Puis elle se tourna vers les femmes de chambre, les reconnut, et jugea sans doute que cela pouvait attendre, car elle leur dit : Tout-à-l’heure, du ton d’un ministre qui sait mesurer la valeur des affaires. Puis elle rentra dans son cabinet, en soulevant la portière, pendant que Baptiste et le concierge, leur mission accomplie, descendaient ensemble l’escalier.

Mme Magnin s’assit à son bureau et s’occupa d’abord à mettre en ordre le dossier que lui avait apporté le père de famille. Elle était méthodique et connaissait trop l’importance des pièces qui lui étaient confiées pour risquer de les brouiller. Elle prit donc une des feuilles de papier bleu, d’un bleu céleste, qui servaient de couvertures à ses dossiers, et rangea dedans plusieurs lettres, divers renseignements de fortune, l’adresse du notaire et quelques notes au crayon. Puis elle écrivit dessus un numéro d’ordre : 303, et se leva pour aller ramasser le paquet. Dans le fond de l’appartement, il y avait trois grands chiffonniers ayant chacun neuf tiroirs. Le premier, déjà comble, était celui des affaires terminées. Le second servait pour les affaires en cours. Le troisième donnait asile aux affaires sans suite, car Mme Magnin qui ne perdait jamais rien, pas même l’espérance, avait pour principe de ne pas détruire les papiers qui semblaient être devenus inutiles. Et plusieurs fois, elle s’en était félicitée. Quand elle eut refermé le meuble avec une des trois clefs qui ne la quittaient jamais, elle revint s’asseoir devant son bureau et décacheta la lettre de Mme d’Oyrelles :

— Elle met de la diligence à répondre. Je n’en suis pas surprise. Quand on est content on n’aime pas à faire attendre.

Mais pendant que ses yeux parcouraient la lettre, sa physionomie se rembrunit et passa de la confiance à une surprise qui n’avait rien d’aimable.

— Comment ! c’est insensé !… Elle nous refuse !…

Mme Magnin qui n’en pouvait croire ses yeux, se mit à lire à haute voix.

« … Croyez que nous sommes très flattées, ma fille et moi, de la recherche de M. de Frumand, dont le caractère et les principes…