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Sans doute, en réfléchissant que Mme Magnin était cousine du comte de Cisay, en voyant sa mère aller à Chanteloup, elle s’était fait de singulières illusions, qui venaient de s’effeuiller au souffle brutal des réalités. Peut-être, dans son doux rêve, s’était-elle étonnée que Bernard n’agit pas plus simplement et prît tant de détours pour lui dire tout à fait ce qu’il lui avait déjà, et si souvent, à demi avoué. Mais jamais le nom de M. de Frumand ne s’était présenté à sa pensée, et quand sa mère l’avait prononcé, Jeanne s’était sentie désolée.

Mme d’Oyrelles ne se fit point d’illusion, pas plus qu’elle ne s’en était fait sur Bernard. Mais, en femme prudente, elle pensa que ce jeune amour n’avait aucune chance de succès, et qu’il était de son devoir d’encourager sa fille à accepter la très honorable demande de M. Henri de Frumand. Elle lui montra ce qu’un pareil mariage apporterait à une femme de chances de bonheur, sécurité de fortune, sécurité morale. Elle lui dit que les renseignements pris par elle étaient unanimement bons. Mais Jeanne ne voulait rien entendre. Pendant que sa mère parlait, elle restait triste ; de temps en temps, elle secouait la tête, sans rompre son silence, décidée à ne pas se laisser persuader.

— Tout à l’heure encore, MM. de Cisay m’ont fait le plus grand éloge de M. de Frumand. Le comte en est enthousiasmé. Et Bernard, qui était là, aussi…

— Bernard ?… interrompit Jeanne.

— Oui, Bernard, lui-même, quoiqu’il eut l’air glacé et pâle comme un mort, a témoigné pour lui la plus vive affection.

— Ah ! il avait l’air glacé ?

— Oui.

Un éclair passa dans les yeux de Jeanne, elle se hâta d’ajouter qu’elle n’épouserait pas M. de Frumand.

Mme d’Oyrelles était fort embarrassée. Il lui vint à l’idée d’écrire à la marraine de Jeanne pour la prier de venir leur donner un avis. Mme de Ferrand arriva à la Gerbière. Il y eut de longs colloques entre les trois femmes, colloques qui se terminèrent par la réponse à Mme Magnin.

… Le comte de Cisay, plus agité que d’ordinaire, attendait avec impatience les nouvelles de Paris. Il trouvait que sa vieille cousine ne se pressait pas assez ; mais, comme il était convaincu qu’elle réussirait, il essayait de modérer sa hâte. En dépit de ses efforts, jamais il ne s’était senti tant d’inquiétudes. Sa conscience, habituellement silencieuse, le tourmentait. Son fils le préoccupait. Pour se calmer, il se disait qu’il allait apprendre d’un moment à l’autre l’acceptation de Jeanne d’Oyrelles et que, devant le fait accompli, ses agitations se dissiperaient d’elles-mêmes. Après, on aviserait.