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— Mon Dieu ! dit-il en les regardant, mon Dieu, ma chère voisine, que nous avons bien fait !

— Attendez donc ! Vous ne savez pas encore si Jeanne rendra Bernard heureux. Il faut plusieurs années pour en être sûr !

Le marquis se mit à rire :

— Je suis tranquille sur leur avenir, aussi tranquille que vous, chère amie. Le seul rêve que je forme encore, c’est de voir leur fils qui ne peut manquer d’être un beau de Cisay.

Elle sourit tendrement.

De fortune et d’arrangements de dot, il n’en fut guère question entre eux. Le marquis pensait : « Nous verrons cela plus tard, avec Rodolphe. » Mme d’Oyrelles se disait : « J’aurais donné ma fille à Bernard, même s’il n’avait pas eu un sou vaillant. Qu’importe le chiffre exact de ses revenus ? » L’un et l’autre jouissaient trop pleinement du bonheur de leurs deux enfants pour redescendre à de si minces détails. Et Mme d’Oyrelles, fière de son œuvre, heureuse de toutes les perfections qu’elle avait données à Jeanne, avait un doux sentiment de triomphe parce qu’en élevant si bien sa fille, elle s’était préparée, du même coup, un gendre exceptionnel. Tout s’enchaîne ici-bas. Le bien appelle le bien.

… Quand le marquis et Bernard sortirent de la Gerbière, ils étaient radieux. Bernard avait l’âme ouverte. C’était son tour de marcher vite, entraînant son grand-père. Il lui disait mille choses tendres, il lui contait mille rêves joyeux. Tantôt sa voix résonnait, tantôt il se penchait pour confier plus doucement sa pensée à M. de Cisay. En face de cette jeunesse, le marquis se reportait invinciblement à son jeune temps. Comme toujours, il prenait plaisir à trouver entre eux des ressemblances, et comme toujours aussi, quoi qu’il en fût un peu confus, il était obligé de s’avouer que Bernard était de plus grande taille.

— Grand-père, j’ai encore un souci.

— Lequel ? dit le marquis en s’arrêtant court. Je ne veux pas qu’il t’en reste un seul.

— C’est mon pauvre Frumand, à qui je pense sans cesse.

— Frumand !… le brave garçon ! Veux-tu que nous allions le voir tous les deux ?

— Si je le veux, grand-père. C’est une idée d’or, une idée à vous.

Deux heures après, le marquis et Bernard sonnaient à la porte de Frumand. La vieille servante vint ouvrir, et, suivant l’usage, Frumand apparut dans le vestibule. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que les événements avaient marché et que le bonheur de Bernard, qui était bien un peu son œuvre, était réalisé. Sa joie fut exubérante. Ses yeux brillaient comme le feu, sa grande