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— Voyons, ma chère, dit-il, réveillez un peu sa mémoire…

Mes lèvres étaient incapables de former un son. Qu’aurais-je pu dire d’ailleurs ? Tremblante, éperdue, je fondis en larmes.

— Edwige, ma bonne Edwige, s’écria-t-il, est-ce que je vous fais de la peine en rappelant ce vieux passé qui est si bien mort ? Oserais-je en parler devant vous en ce moment et le ferais-je s’il en restait la moindre trace sérieuse ? Ne savez-vous pas mieux que personne que je suis aujourd’hui le premier à me féliciter d’un refus dont vous m’avez si bien dédommagé !

— Un refus ! dit Marguerite en se mettant à rire cette fois de son rire jeune et charmant, tout à fait remise de son premier trouble. Mais vous me rendez folle ! C’est vous dont la mémoire s’embrouille, je crois ; vous confondez avec quelque autre, laissez-moi vous le dire ! Que m’avez-vous jamais demandé que je vous aie refusé ?

Armand avait compris. Il eut pitié de moi, d’elle aussi peut-être… Il ne voulut pas me faire rougir ni rougir lui-même de sa femme devant elle.

— Oui, vous avez raison, répondit-il, je n’ai jamais osé vous faire savoir, mais je m’imaginais que vous aviez deviné…

Et il se mit à parler d’autre chose.


VIII

Et maintenant Armand sait, il sait. Ah ! quelle différence si cela avait été par moi qu’il l’eût appris ! Il ne m’a jamais dit un mot à ce sujet. Combien j’aurais préféré ses reproches et lui parler à cœur ouvert de ma faute ! Mais ce silence, toujours ! Quelquefois j’ai envie de le rompre pour lui demander pardon, mais je n’ose. Exiger qu’il me pardonne, ce serait vraiment trop. Il me semble qu’il est complètement changé à mon égard. Est-ce une erreur, une imagination de ma part ? Je voudrais tant pouvoir deviner ce qu’il pense de moi, s’il me méprise, s’il me hait, s’il souffre, s’il regrette, s’il l’aime de nouveau, son amour n’étant plus maintenant refroidi par la pensée qu’elle n’a pas voulu de lui ? Je crois toujours sentir ses yeux fixés sur moi. Il me regarde longuement comme quelqu’un qui réfléchit, tantôt avec colère, à ce qu’il me semble, tantôt avec une froideur plus navrante encore, parfois avec une pitié qui paraît du dédain plus que de la compassion…

Les années se sont écoulées, tristes, lentes, glacées. Il se détache de moi de plus en plus. Je sens que j’ai perdu son estime. Comment m’en étonner ? Peut-on aimer là où l’on n’a plus ni respect ni confiance ? Les seuls moments où j’ai le sentiment que nous nous