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Le Cri de Toulouse ne paraîtra, jusqu’au 1er janvier, que tous les quinze jours. Cette mesure nous est imposée par l’organisation matérielle de l’œuvre que nous entreprenons avec nos seules forces.

Nous espérons que le public fera à notre feuille, un accueil sympathique : c’est une condition de son succès.

Dès le 1er janvier, Le Cri de Toulouse ne sera pas seulement hebdomadaire, mais il paraîtra sur huit pages.

Les abonnements qui nous parviendraient dès aujourd’hui, ne partiront que du 1er janvier. Jusque-là le service grâcieux du Cri de Toulouse sera fait à tous les souscripteurs.




AU BANQUET VIGUIÉ
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Frappés d’une touchante et délicate pensée, à laquelle il convient de rendre hommage, quelques amis de M. Viguié, ancien préfet de la Haute-Garonne n’avaient pas voulu que ce dernier quittât Toulouse sans y faire un bon déjeuner.

On se rappelle, en effet, qu’en raison de la catastrophe du Liberté, M. Paul Viguié avait , à son très vif regret, renoncer au grand banquet annuel du Conseil général qui lui coûtait cent louis. C’est tout juste s’il avait eu la satisfaction de se rattraper en envoyant cinquante francs aux malheureuses familles des disparus.

Le Banquet d’Adieu fut une éclatante réparation de ce contre temps, à ce détail près — mais il est sans importance — qu’au lieu de payer pour tout le monde, M. Viguié eût la surprise de constater que tout le monde payait pour lui.

Cette petite fête avait lieu à l’Hôtel de l’Europe où l’on avait groupé sans trop de peine une centaine de souscripteurs, personnel de la maison non compris.

Malgré la présence des hauts fonctionnaires de la République, M. Denjean n’avait pas hésité à sortir son argenterie. La table était arrangée de main de maître ; quelques convives se plaignirent, il est vrai, de l’avoir été aussi, bien qu’on ne leur eût demandé que quinze francs !

On raconte, à ce propos, qu’un brave souscripteur de Cadours, ayant jeté, avant de se mettre à table, un coup d’œil furtif sur le menu, fut stupéfait de ne pas y découvrir des huitres…

Ce doit être un oubli, pensa-t-il…

S’approchant d’un des maîtres d’hôtel assoupi sur une chaise, il le toucha doucement sur l’épaule :

— Pardon, monsieur, les huitres ne sont pas arrivées ?…

À quoi pensait à ce moment, le digne serviteur ? on ne sait pas ; toujours est-il que, se redressant en sursaut, il répondit :

— Mais si, Monsieur, tout le monde est de l’autre côté !

À table, tout le monde se tint assez bien, et l’on remarqua fort que le citoyen Bepmale mangeait assez proprement ; on assure même qu’il évita de cracher sur les bottines vernies de M. Beurdeley, et qu’il consentit à faire usage de sa serviette pendant presque tout le repas.

Dire qu’une folle gaité régnait dans la salle serait une inutile exagération. Ceux qui avaient payé d’avance paraissaient assez guillerets. Les autres, par contre, ne voyaient pas approcher sans appréhension la minute douloureuse ; il en résultait une sorte de silence dont l’effet paralysant n’échappa pas à l’acuité visuelle du maître de l’endroit.

Se souvenant fort à propos que le vin dissipe la tristesse, le vatel Denjean convint que le moment était venu de faire quelques sacrifices.

En un clin d’œil les tables furent sillonnées de garçons qui se penchaient mystérieusement vers les convives en murmurant à voix basse, des paroles que beaucoup ne comprirent pas.

Parfois, on distinguait le mot « Grave » et la plupart crurent qu’il s’agissait de la situation. Un ancien concierge des bâtiments communaux faillit se fâcher tout rouge en entendant le maître d’hôtel lui dire : « Corton, s’il vous plaît » !

Bref, le repas s’acheva sans encombre, et les souscripteurs furent invités à passer dans une salle voisine pour essayer d’y prendre café.

Je vous garantis que ce ne fut pas commode, et encore moins d’attraper un cigare !

Les parlementaires et quelques autres vieux routiers, qu’on avait laissé passer les premiers par politesse, en profitèrent pour établir autour de la verseuse et de la cave à liqueurs un rempart infranchissable.

Quant aux cigares, par un phénomène inexplicable, et bien que le Commandeur Cazeneuve ne fut pas dans la salle, ils avaient tous disparu en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Notre excellent confrère Louis Ariste, qui, dans sa longue carrière, a souvent assisté à des scènes de ce genre, s’était fort heureusement pourvu de quelques « crapulos » dans un bureau voisin, et nous ne dûmes qu’à son obligeance de pouvoir faire comme les privilégiés ; nous lui en exprimons publiquement toute notre reconnaissance.

M. B.




M. HYÉRARD REÇOIT
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À peine M. Hyérard, nouveau préfet de la Hte-Garonne, était-il installé, que toute l’armée des fonctionnaires de tout ordre se précipitait, suivant l’usage, dans les salons de la Préfecture.

On y vît non seulement les Corps constitués mais encore les Corps des Agrégés et, pour chacun d’eux, M. Hyérard eut la veine d’improviser de ces paroles qui vont au cœur.

La réception fut entourée d’une certaine solennité ; tout le personnel de la Préfecture était sur pied ; c’est tout juste si M. Hyérard ayant exigé la présence de Lacroix n’imposa pas celle de la bannière !

Il y eut quelques menus incidents dont le public n’a d’ailleurs pas été informé et qui n’en sont que plus drôles.

C’est ainsi qu’au moment de présenter au nouveau préfet le corps des avoués, M. Fourcade eut un moment de soudaine, autant que troublante, hésitation.

Sans scruter à fond l’âme de l’honorable Président de la Chambre des Avoués, il est permis de supposer qu’il n’a, pour tout ce qui est officiel et gouvernemental, qu’une vénération très relative.

Lorsque fut venu son tour de défiler à la tête de sa corporation, une lutte terrible dut s’engager entre sa conscience et sa courtoisie. Pour satisfaire l’une, il se mit donc en marche et, dès qu’il fut bien en face du Préfet, pour ne point froisser l’autre, il limita sa politesse à une sorte de miséricordieux regard qui en disait long sur ses pensées intimes.

De présenter ses collègues, il n’eût cure et il était déjà loin lors que M. Maurel, à qui rien n’avait échappé, s’approcha de M. Hyérard et lui dit avec une grâce toute souriante : — « Excusez notre président, monsieur le Préfet, son émotion l’a empêché de vous exprimer les sentiments respectueux du Corps des Avoués. En son nom et au mien, je vous prie d’en agréer l’assurance ».

M. Hyérard sourit et l’incident passa inaperçu.

Une mésaventure d’un autre genre est arrivée à un des membres du Corps Consulaire présenté à M. Hyérard par le marquis de Dax d’Axat, consul de l’Uruguay. À cette présentation assistaient les représentants de tous les gouvernements étrangers accrédités à Toulouse en qualité de consuls ou de vice-consuls. C’est même à ce titre que M. le docteur Lierre, adjoint au maire de Toulouse et vice-consul de la République de Portugal, fit connaissance avec le nouveau Préfet.

Or donc, cette présentation avait pris fin depuis longtemps lorsqu’on vit arriver, tout suant, tout soufflant, mais superbement habillé, le consul de la République Argentine.

Jugez de son embarras :

— J’entends, dit-il, être présenté tout de même, louquel de ces messieurs voudrait m’accompagner ?…

Quelqu’un se dévoua fort à propos et l’honneur de la République Argentine sortit indemne de ce contre-temps.

Figourez-vous, disait en sortant notre consul, que j’ai failli être en retard, mais tout s’est bien passé ; je souis arrivé jouste avant le receveur mounicipal !