Page:Le Diable boiteux, numéros 1 à 18, 1er avril - 26 juin 1816.djvu/243

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prétendis lui prouver que nous ne devions parler ni des femmes ni de la politique ; il me demanda quel rapport je pouvais établir entre ce qu’il y avait de plus amusant et ce qu’il y avait de plus ennuyeux au monde : je crus répondre en disant que je voyais le même danger à parler de ses maîtres ou de ses maîtresses. Asmodée, qui ne se gène pas avec moi, prétendit que ce rapprochement n’était qu’une impertinence. Je me rejetai sur la difficulté d’être juste envers un sexe enchanteur qui… Il m’interrompit par un éclat de rire. Trêve de fadeurs et de fadaises, me dit-il ; j’en ai tant entendu pendant quinze ans de séjour à l’athénée ! Sur un pareil sujet, M. Charles Malo lui-même n’a rien trouvé de neuf à dire. — Fadeur à part, répliquai-je, comment voulez-vous qu’on ne songe pas, en s’armant de la férule de la critique, que c’est sur les doigts d’une femme que l’on va frapper ? On commence par remarquer que ces jolis doigts sont tachés d’encre, et l’on en est quitte pour frapper moins fort : d’ailleurs, mon cher, il vient un moment où les femmes auteurs n’ont plus de genre que celui de leurs ouvrages. Il faut du moins attendre ce moment-là pour les juger : j’en conviens, je ne sais pas résister à la séduction de deux beaux yeux. — Fort bien, quand ils sont beaux ! mais Dieu sait que ce n’est pas par-là que brillent en général nos filles de mémoire. — Cette fois encore je me trouve dans le cas de l’exception ; vous savez s’ils sont beaux les yeux en présence desquels vous voulez me placer. — J’ai passé sous le feu de leurs batteries ; je m’en suis tiré avec honneur, j’aiderai ton inexpérience. — J’eus beau faire et beau dire, il fallut remplir la tâche difficile qui m’était dévolue par le sort, d’apprécier les talens d’une jolie femme.

N’en déplaise à Molière, à Boileau et à Lebrun, de pindarique mémoire, les femmes ne sont point étrangères dans la république des lettres. Quelques unes y ont exercé des magistratures importantes, et de nos jours elles y possèdent en souveraineté le domaine des romans, que madame de La