DEUX OU TROIS MOTS
D’AVERTISSEMENT.
John Gilchrist, l’auteur de ces volumes, ne se nommait pas le moins du monde Gilchrist ; il se nommait François-Guillaume Chrétien. Au lieu d’être né dans la noble Angleterre, il était venu bourgeoisement au monde à Château-Thierry, comme Jean La Fontaine. La ressemblance ne va pas plus loin. Mécontent de son sort et de lui-même, il crut changer d’existence en changeant de nom, et il se débaptisa complètement. Le fâcheux de l’affaire, c’est que personne n’y fit attention, et tout le monde continua à l’appeler Chrétien : le lecteur l’appellera comme il voudra ; maintenant qu’il est mort, je ne présume pas que cela, l’inquiète beaucoup.
C’était un homme instruit, qui poussait l’amour de l’indépendance jusqu’à la frénésie et qui ne voulut jamais rien faire, de peur d’être esclave de ses occupations. Il s’accusait d’être paresseux ; mais sa paresse ne l’empêchait pas de travailler comme un cheval, un cheval de fiacre ou de roman. Il pouvait se flatter d’être le plus laborieux et le plus infatigable des désœuvrés. Ses travaux,- malheureusement, n’avaient d’autre but que de passer le temps, et quoique ce soit une manière de le vaincre, ce n’est pas celle de l’asservir. S’il a composé, par-ci par-là, quelques bonnes pages, il n’a jamais fait un livre, et surtout un beau livre.
Après une jeunesse qu’il qualifiait complaisamment d’orageuse, dont il ne racontait cependant pas les orages, il acheta, aux environs de Paris, une campagne solitaire, une masure gothique, qui faisait autrefois partie de l’abbaye du Val : et il s’y retira, pour n’en plus sortir. C’est là que, dans l’espace d’une année, non content de recopier quelques-uns de ses anciens ouvrages qui n’en valaient guère la peine, il en composa une foule de nouveaux qui ne sont pas plus neufs, mais beaucoup plus longs. Ils formeraient au moins trente ou quarante volumes in-8°.
