Page:Le Franc - L'âme maternelle - nouvelle canadienne inédite, Album universel, 8 décembre 1906.djvu/10

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Elle le regarda à travers ses doigts écartés. Et elle vit une telle expression de détresse sur son visage subitement vieilli, son visage dont il ne songeait plus à composer le masque, qu’une pitié dont elle ne s’expliquait pas encore la cause entra dans son âme.

Oui, il devait se sentir bien malheureux pour en être descendu là, lui, auquel elle avait gardé un respect instinctif au milieu de l’indifférence générale. Le pauvre papa, qui avait bu du brandy ! et qui maintenant laissait lire à livre ouvert dans ses secrets, que fût-il advenu si Mme Romieux l’avait entendu ! — Le pauvre papa qui bégayait comme un enfant, qui se rapprochait de sa faiblesse à elle, Paulette, le pauvre papa qui, malgré ses emportements de tout-à-l’heure, venait de révéler une vie de labeur et de sacrifice silencieux, le pauvre papa qui souffrait du manque d’égards des siens !

Comme il était pâle à présent, comme ses yeux, machinalement fixés sur les flammes du foyer, renfermaient de lassitude, et comme ses lèvres tremblantes disaient de découragement !

Il reprit, d’une voix presque humble, mais avec une ténacité dans la rancune et un attendrissement sur lui-même où Paulette reconnut une dernière influence de l’alcool, mais qu’elle était presque tentée de bénir à présent, puisqu’elle lui faisait connaître le cœur de son père, ce cœur douloureux qu’elle n’aurait jamais soupçonné.

— Je suis un homme tranquille, moi, et il m’a fallu vivre au milieu de l’agitation ; je suis un