Page:Le Franc - L'âme maternelle - nouvelle canadienne inédite, Album universel, 8 décembre 1906.djvu/12

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yeux.

Alors, de la voir pleurer, il se mit à pleurer aussi, doucement.

Toutes ses rancœurs refoulées lui montaient aux yeux et aux lèvres.

— Tu comprends, n’est-ce pas, ma petite Paulette ? Je suis bien misérable. Je ne compte pour personne dans la maison, personne ne m’a jamais montré un peu d’affection, même quand j’étais indispensable. Quand je serai vieux, ce sera pire…

Puis tout à coup, il se souvint qu’il parlait à une enfant, à sa Paulette, qui jouait encore à la poupée. Son ivresse était tout à fait dissipée. Il plongea les yeux dans ses yeux, longuement, pour y chercher sa pensée.

Elle se leva, attirée par ce regard dont elle lisait l’interrogation muette et passa les bras autour du cou de son père en répétant :

Poor papa !

Mais dans sa voix, une nuance d’autorité se mêlait à la tendresse.

Il fut rasséréné : pour la première fois de sa vie, il était compris, aimé, consolé.

…Et, tandis qu’une grande rose d’orgueil achevait de mourir, humiliée, sur le tapis qui buvait lentement l’eau de cristal, une autre fleur, une fleur de pitié, éclosait dans l’âme soudain maternelle d’une petite fille, qui venait de prendre l’engagement de protéger son père : et le père sentit si bien cette âme naissante de sa fille qu’une dernière larme roula dans les boucles profuses de Paillette, tandis qu’elle disait comme un refrain d’une infinie douceur :

Poor papa ! poor papa !

MARIE le FRANC.