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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/126

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marie le franc

— Vous vous referiez une vie.

Se refaire une vie… Autant vaudrait mettre Jeannine devant un tas de pierres et lui conseiller de rebâtir une maison. Est-ce que rien se fait ou se refait par sa volonté ? Elle en est pour l’ordre établi, la routine, les habitudes, l’acceptation de son sort. Elle va à l’avenir comme on se rend à l’église. Elle déteste les commencements. La nouveauté n’a aucun attrait pour elle. La vie se charge de mettre sur sa route des êtres dont le pittoresque lui suffit. Chaque fois qu’elle a essayé de faire un effort, elle a échoué : le vieux petit monsieur a gardé dans sa main flétrie le secret des lignes sténographiques, et le toit neuf du garage fléchit sous les hypothèques. Elle réussit mieux à vendre des dentelles et des livres de vers pour le compte d’autrui.

— Vous seriez plus heureuse…

Jeannine hausse les épaules. Est-ce que ça existe, le bonheur ? Tous ceux qui mériteraient d’être heureux sont des sacrifiés : les beaux sentiments ne rapportent pas. Au fond, elle sait qu’elle est de cette catégorie. Elle continuera à subir. Théo et le garage sont des épreuves nécessaires. Pourvu que les crises : d’un côté, menaces de nouveaux coups de tête, de l’autre, menaces de saisie, ne se renouvellent pas trop souvent ! Pourvu que rien ne vienne troubler sa bizarre existence