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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/127

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visages de montréal

au fond de son bizarre appartement. Pourvu qu’on ne lui enlève pas ses enivrantes chevauchées de Hill-Park, les couchers de soleil d’automne, les bacchanales de neige et de vent de l’hiver, la solitude des crépuscules d’été qui portent aux confidences. Pourvu qu’elle ait toujours assez d’argent pour payer de petits acomptes. Pourvu qu’elle trouve à se dévouer ! Jeannine n’entrevoit pas de malheurs précis. Elle ne dit pas : « J’ai le cafard aujourd’hui, » mais : « Je suis dans le noir, » à moins qu’elle ne murmure : « Je suis avachie ! » Sa tristesse trace devant elle une longue avenue obscure où elle s’égare. Elle n’espère non plus aucune félicité marquée. Tout ce qu’elle souhaite, c’est se fondre dans une atmosphère cotonneuse et berçante. Il arrive que chagrins et joies finissent par se rejoindre, produisent une sorte de somnolence qui est pour elle le meilleur bien. Elle ne craint pas la mort. La mort ne sera qu’une longue habitude. Il n’y aura plus à déménager.

— Ne vaudrait-il pas mieux rentrer en France ?

Rentrer en France ! Quelle abomination ! Se lever à huit heures du matin à Lille, dans une maison où le chauffage central est les trois quarts du temps détraqué. Connaître la tyrannie des bonnes. Être obligée d’aller prendre son bain à l’hôtel à travers la rue. Ne pouvoir sortir pour mettre une lettre à la poste après dix heures du soir sans que