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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/205

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visages de montréal

La voix hésita, devint tout à fait aérienne.

— Vous ne savez pas ?… Je ne vais pas bien… Je devrais être au lit… Prenez un taxi.

Je fus prête en moins de cinq minutes. Et me moquant du taxi, j’abordai avec vigueur, moi bien portante, la rue où les lumières se noyaient dans les flaques, où les lampes à arc n’étaient plus que de tremblantes veilleuses au cœur rond des feuillages pensifs. L’ascenseur du Ritz me déposa devant une porte marquée d’un numéro d’or mat, à plusieurs chiffres. Épaisse cette porte, fermée, muette, comme s’il n’y eût eu derrière personne de vivant, et d’acajou si poli qu’elle ne donnait pas de prise.

Je sonnai. Annabel vint ouvrir. Car c’était bien Annabel, éclairée de dos, le visage dans l’ombre. Annabel et sa voix, et sa poignée de main nerveuse. Je fus soulagée de la trouver debout. À l’intérieur, une lumière pluvieuse tombait d’un plafonnier opaque sur l’immobilité des meubles et le silence du tapis.

Une fois assise à ses côtés sur le divan, je commençai à m’apercevoir des ravages que ces dix années qui l’avaient tenue éloignée du Canada avaient exercés. C’était elle et quelqu’un d’autre en même temps, la jeune femme inconnue doublant d’une ombre la jeune fille qui m’était familière, ou plutôt substituant son corps fait de plus