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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/206

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marie le franc

d’ombres que de chair à ses formes pleines. Le visage avait été buriné en profondeur et à l’expression jadis grave et ironique des traits, s’ajoutait une nervosité qui allait jusqu’à l’égarement.

Elle n’avait plus la masse de ses cheveux qui jadis lui tiraient la tête en arrière, la forçant à tenir le visage levé et à recevoir la lumière sur son large front carrément modelé ; ils étaient courts à présent, séparés en boucles abondantes, et de temps en temps elle portait la main à sa nuque comme si elle eût senti un froid, un manque, une amputation précisément à cet endroit, et sa tête baissée avait l’air songeuse. Elle n’écoutait plus qu’elle-même à ces moments. Ses yeux avaient pris la couleur indéfinissable des eaux troublées de la mer, et c’étaient bien les profondeurs inconnues et le remous passionné de la mer que son regard recouvrait. Le nez aquilin dont les lignes massives dominaient jadis le bas du visage avait perdu de son orgueil. Les traits s’étaient creusés et réduits, mais c’était surtout dans leur expression que résidait le changement d’Annabel.

La lumière arrivait obliquement jusqu’à ce divan d’angle où nous étions assises, de sorte que son visage demeurait dans une demi-pénombre, donnant l’impression d’être recouvert d’un léger voile. Les yeux troublés à dessein, la bouche contractée, un réseau nerveux tendu du front au men-