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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/231

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visages de montréal

des puissants arbres nordiques, elle aurait à sa portée les distractions de la ville, de sa ville, dont elle entendrait battre à ses pieds le pouls tumultueux. Ce serait le home idéal, et l’atmosphère de son enfance retrouvée.

Quand j’entendis sa voix au téléphone, je me figurai le coin paisible du salon aux toiles de Jouy d’où elle m’appelait, avec la porte ouverte sur les fougères de la serre et les fenêtres tapissées par la pourpre royale des érables à travers lesquels on voyait luire au loin la nappe pâle du St-Laurent. En bas, dans la plaine, c’était la ville maternelle.

— Je vous appelle de l’hôpital. Je pars demain. Je veux dire, pour l’Angleterre. Non, je ne vais pas chez les Learmont. Tout est changé. Je prends le Duchess of York. Vous serez au bateau, n’est-ce-pas ? C’est à onze heures qu’il part. Mais j’arriverai avant. Uncle Murray pense que ça vaut mieux. Il va s’occuper de tout. Si j’attends, je ne pourrais peut-être pas traverser avant le printemps.

Elle devina ma stupéfaction, et poursuivit, sur un ton qui s’efforçait à la plaisanterie mais révélait une amertume terrible :

— Je ne sais de quoi il a peur… Que je sois une disgrâce pour la famille peut-être !… Alors me voilà chassée de mon pays, emballée de force pour