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marie le franc

belle ni plus attrayante dans son mystère, plus émouvante dans sa misère inexpliquée, gardant malgré tout un rayonnement à elle, demeurant un îlot contre lequel le flot des curiosités battait en vain, la créature qui disait « Eh bien ? » quand d’autres eussent dit « Hélas ! » Elle avait toujours son incurable avidité à se jeter sur ce qui lui faisait envie et je me rappelai à ce moment même l’unique billet qu’elle m’avait écrit de Paris où ses parents l’avaient envoyée, à 16 ans, passer une saison : « En allant à la Sorbonne, j’ai vu dans une fenêtre trois grape-fruits que la marchande appelait si drôlement des pamplemousses, les premiers depuis Montréal. Je les ai achetés tous les trois. C’était très cher, et ils ont pris tout mon argent de poche.

On assistait aux puérilités ordinaires des départs maritimes. Le personnel du bord distribuait à profusion parmi les passagers des serpentins qu’ils lançaient à la foule sur le quai. Des hommes qui n’y possédaient ni amis ni parents goûtaient l’illusion d’en avoir, et lançant un serpentin dans la direction d’une silhouette féminine qui leur paraissait attrayante essayaient de se rattacher à elle au moment où on larguait les amarres. Un intérêt s’éveillait en eux à voir passer sur le visage anonyme qu’ils avaient effleuré un tressaillement, une surprise, un sourire. Le léger ruban