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visages de montréal

tive, pelotonnée dans ce giron laurentien, et prétendaient en demeurer les uniques possesseurs. Nul ne s’en approcherait. Quelques-uns d’entre eux prenaient une inclination violente et tombaient sur la face des rudes étrangers qui s’avançaient pour la voir, mélèzes barbus, pins à l’ombre bleue comme celle qui dissimulait le menton téméraire de Cavelier.

Celui-ci ne les quittait pas des yeux. J’étais frappée de la ressemblance à la fois physique et spirituelle qu’il offrait avec eux : même corps en longueur, même pâleur dorée du visage, même chevelure tombante ; même reflet ombrageux dans l’expression, même force insoupçonnée sous la nonchalance, même absence de pose dans une attitude incomprise des balourds. Pour les regarder, Cavelier se penchait au bord du bateau au même angle végétal que les amoureux du lac, et il y avait dans son immobilité la même interrogation que dans la leur et le même souci passionné de sa destinée. Ceux qui ne pouvaient toucher l’eau de la réalité de leur tronc et de leurs branches tentaient de la troubler d’un reflet. Cavelier aux yeux magiques n’avait qu’à toucher de son front un front de femme.

J’étais sûre que ces bouleaux répétés à l’infini seraient la découverte dominante de son voyage. Ils reviendraient à son insu en flots de sève siru-