Aller au contenu

Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
visages de montréal

forme, mouillé de salive canine. Au dégel, on le prendrait pour un animal qui aurait pourri là tout l’hiver.

Au retour, elle se hâta de rattraper le temps perdu. Les derniers rayons du soleil luisaient sur la coupole argentée de la Cathédrale et elle répétait avec obstination : « La coupole luit au soleil… La coupole luit au soleil. » Elle se servait de cette coupole comme d’une image d’alphabet. Sa fatigue ne lui permettait pas d’en trouver d’autres. Le petit garçon, assagi, la tenait par la main. Il devinait au ton de sa voix que Mademoiselle souffrait et l’implorait. Alors il levait vers elle ses yeux pacifiques et disait avec douceur : « Yes, yes ! » La fillette, qui avait bien compris qu’on exigeait d’elle de répéter la phrase, mais que la coupole de l’église ennuyait, s’élançait en avant, encore échauffée du sport, et pour faire acte d’indépendance, déboutonnait tout d’un coup son épais manteau, exposait au froid sa fragile petite robe anglaise de nansouk blanc. Il fallait courir après elle, s’épouvanter, oublier la coupole de l’église, se livrer à des reproches véhéments auxquels la récalcitrante n’entendait mot, mais qu’elle trouvait aussi amusants qu’une cascade. Rafraîchie, elle laissait Mademoiselle reboutonner de ses doigts gourds le gros manteau et lui souriait, les yeux plantés dans ses yeux, sans bouger.