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marie le franc

cheval. On l’enferme dans l’appartement avec ses jouets : un os et une pantoufle. L’été, Jeannine monte plus volontiers en cavalier. Son costume kaki est culotté par le temps, mais au rebours des vieilles pipes il s’est culotté en clair : de kaki il est devenu verdâtre. Pour le cacher, elle met jusqu’à l’écurie un imperméable de Théo. Elle marche en piquant légèrement du nez vers les pointes de ses bottes. Ce qui sauve le costume verdâtre est la cravate blanche qui entoure le cou haut et fin, l’épingle ancienne qui y est piquée, le chapeau dur posé correctement sur les cheveux qu’il a fallu enrouler en une torsade serrée autour de la tête. La main gantée de cuir tient une cravache d’homme qui a de longues années de service.

Le cheval est sellé en effet. Le groom est occupé à lui vernir les sabots. Elle ne sait jamais quelle monture on lui destine. Comme elle ne paie que lorsqu’elle peut, par petits acomptes, et court même le risque de ne rien payer du tout, on lui fait essayer les nouvelles recrues, des bêtes mystérieuses, qui ont toutes sortes de tours en réserve, ou bien des chevaux de pensionnaires qui ont besoin d’être exercés, d’autres qui ne sont pas sortis à la suite d’une chute, d’un rhume, de coliques. Tant qu’on tient la bête par la bride pendant que Jeannine monte ou qu’on ajuste les étriers, elle se contente de gratter les pavés de l’écurie d’un