Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/115

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vail. Jamais homme ne se montra moins satisfait de lui-même, plus défiant de ce qu’il écrivait ; il se reprenait sans cesse, raturait, corrigeait, ne laissait rien subsister quelquefois de son premier jet. Ses amis en étaient venus à s’effrayer de l’altération que tous ces remaniements apportaient à la rédaction primitive des Mémoires ; ils faisaient des vœux pour qu’elle pût lui être soustraite à temps. Ils y réussirent pour les trois premiers livres qui ont été publiés en 1874 dans le texte de 1826. Rien d’instructif comme la comparaison de ce texte avec le texte définitif. Si l’on peut regretter dans celui-ci quelques suppressions (par exemple dans le portrait du père de Chateaubriand, d’où il a, pour des raisons d’esthétique plus que de convenance, ôté la touche d’humanité et d’honneur qui l’adoucissait d’abord), il n’apparaît point que les autres modifications apportées par l’auteur aient rien enlevé à la sublimité du livre. Le vieux lion avait gardé sa griffe ; elle s’était même aiguisée avec l’âge, mais ses amis supportaient mal de lui voir préférer de plus en plus aux termes vagues et généraux les expressions nettes et précises jusqu’à la technicité.

Pour nous, quand, au lieu du « laboureur à l’ombre des épis », Chateaubriand écrit« le laboureur germé à l’ombre des épis » ; quand, au lieu de « la chambre où ma mère me fit le funeste présent de la vie », il écrit : « la chambre où ma mère m’infligea la vie », ces changements, loin qu’ils nous choquent, nous feraient plutôt saisir l’ascendante beauté et la perfection définitive que le travail communiquait à son expression.