Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/132

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tant de semences naturelles ou acquises que l’hérédité, une précoce habitude de la souffrance et l’air même qu’elle respirait avaient déposées en elle. Jeune encore, « elle apprit par cœur tout ce qu’on chante à l’église ». Elle n’avait pas d’autre méditation que les psaumes. Elle inclinait vers la vie claustrale et, sans l’accident qui l’enleva à elle-même, on peut croire qu’elle eût suivi son penchant. À Lannion, elle faillit entrer chez les Augustines de Sainte-Anne. Délicate de santé, timide, languissante, mêlant au goût de la solitude un sentiment très vif des choses de la nature, elle réalisait ce type mélancolique de la jeune novice bretonne qui n’aspire qu’à l’oubli du monde et aux joies sombres de l’anéantissement en Jésus. L’éducation d’un frère, plus jeune qu’elle de douze années, en l’arrachant une première fois à son penchant, fut pour elle comme une fraîche maternité. Ce besoin de tendresse et de sacrifice, cette sensibilité qui ne trouvait point à s’employer, elle les reporta sur le petit Ernest, se donna toute à son rôle d’éducatrice, fit sien indélébilement cet enfant de son esprit et de son âme. Quand elle le vit élevé, sorti de lisières, elle crut pouvoir reprendre son premier rêve, retourner vers ce cloître où la dirigeaient d’anciennes traces non effacées encore. La ruine des siens l’arrêta. Son père, capitaine au cabotage, était mort tragiquement à la mer ; la fortune de la famille avait sombré avec lui ; le ménage penchait sous les dettes accumulées. Henriette prit conscience d’une tâche plus haute, d’un devoir plus âpre et plus difficile à remplir. Elle renonça d’elle-même au cloître, à la douceur du replie-