Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/133

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ment solitaire. Il n’y eut point là détachement, comme on pourrait supposer, affaiblissement du sentiment religieux (les temps n’étaient pas encore venus ; Henriette était toujours croyante), mais au contraire une forme plus parfaite de sa soumission au divin. L’épreuve fut la première clarté de cette âme. Elle se trouva debout au premier coup, et sans défense, ignorante de la vie, ayant sommeillé jusqu’à vingt-quatre ans dans le rêve mystique des femmes de sa race, elle se jeta délibérément dans le siècle, sollicita un poste d’institutrice et vint à Paris.

Langueur, réserve, disposition mélancolique, sentiment de la nature et de la solitude, mysticisme passionné et sombre, tous ces traits profonds de la race dont Henriette avait donné jusque-là un exemplaire éminent allaient disparaître ou se modifier, suivant une loi presque constante chez les émigrants bretons, dans le milieu différent et hostile où elle avait marqué sa place.

L’émigration bretonne n’est pas un fait accidentel ni de date récente. Il remonte aussi haut que l’histoire. Par une fatalité singulière, ces éternels nostalgiques, ces passionnés du sol natal ont toujours été condamnés à la vie errante et à la transplantation. Destinée cruelle : c’est la faim qui les chasse. Tant que le pays les peut nourrir, ils y demeurent. Ils y tiennent par tant de racines ! Cette terre âpre, ce ciel, ces landes, ce cimetière où ils ont couché leurs vieux parents et où ils ne dormiront pas, c’est toute leur