Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nuscrit espagnol à lui communiqué par l’abbé de Lyonne. Pour invraisemblable fût-elle, la fable n’était pas sans avoir trouvé crédit dans le monde et particulièrement en Espagne, où, en attendant, on accaparait notre pauvre et si français Gil Blas. Il en est des légendes comme des corps astraux du spiritisme où le poing s’enfonce et ne trouve point de résistance. Comment avoir prise sur celle-ci ? Comment saisir l’insaisissable ? La critique y perdait son latin, et, de François de Neufchâteau, à qui Hugo, subtil éphèbe, prétendait avoir dicté l’introduction qu’il mit aux œuvres de Lesage dans la collection Didot, jusqu’à M. Léo Claretie, dans sa brillante thèse de Sorbonne, la question n’avait pas avancé d’un pouce dans un sens ou dans l’autre. Elle est tranchée à cette heure : Gil Blas est bien un roman français ; Lesage ne l’a ni copié sur l’espagnol ni même imité de l’espagnol ; il l’a tiré de son propre fonds, en s’aidant, comme l’a prouvé en dernier ressort M. Lintilhac, de trois documents historiques depuis longtemps traduits en français : la Disgrazia del conte d’Olivarès (traduction d’André Félibien), les Anecdotes du comte-duc d’Olivarès (traduction de Valdory) et le Ministre parfait ou le comte-duc, ouvrage sans nom d’auteur, paru à Cologne en 1688.

L’originalité de Lesage, contestée jusqu’à ce jour, éclate ainsi pleine et entière, et notre patrimoine intellectuel s’en accroît d’autant. Mais nous devons une réparation à l’auteur de Gil Blas, et l’on ne saurait rien imaginer de mieux qu’une statue, à Paris, pour apaiser ses mânes offensés. Croyez qu’elle