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Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/202

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des Enfants d’Édouard, il eut fort à faire pour vaincre les préventions de son professeur qui s’emporta un jour jusqu’à lui dire : « Vous êtes Breton ? Votre père est cordonnier ? Eh bien, mon ami, voulez-vous un bon conseil ? Retournez en Bretagne et imitez votre père : faites des souliers »[1]. Hamon courba la tête sans répondre. Sur les quarante francs de son budget mensuel, il en réservait dix pour sa mansarde du boulevard Bonne-Nouvelle, vingt pour sa pension, le reste pour ses dépenses d’atelier. Mais il faisait lui-même sa lessive, lui-même sa « popote », et portait, été comme hiver, un grand carrick à sous-pieds qui ne laissait point voir la détresse de son linge. Le jour qu’un imagier de Saint-Sulpice lui commanda une grosse de « chemins de croix » qu’il lui payait deux francs

  1. J’emprunte cette anecdote à M. Jacques Evrard, qui la tient lui-même de l’excellent peintre Jean Aubert, camarade d’atelier de Hamon chez Paul Delaroche. Hamon, du reste, ne tarda pas à prendre sa revanche. « Delaroche, raconte M. Evrard, avait donné à ses élèves, comme sujet de composition, le Massacre des Innocents. On peut s’imaginer les scènes d’horreurs et de carnage que s’attachèrent à représenter la plupart des jeunes artistes. Un seul avait traité le sujet d’une manière absolument neuve : dans un délicieux jardin on voyait une troupe d’enfants prenant leurs ébats. Frais et roses, tout, dans leurs physionomies, respirait la santé et la joie de vivre, mais, dans un bosquet, on apercevait la silhouette tragique d’un assassin armé d’un poignard et qui se disposait à frapper les pauvres petits. « Qui donc a fait cela ? s’écria le professeur en passant la revue des compositions. — C’est moi, murmura Hamon. — Eh bien, mais ce n’est pas mal du tout. C’est même très bien, oui, c’est très bien. » Delaroche comprit ce jour-là que Hamon avait mieux à faire que de manier l’empeigne et le tranchet.