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Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/260

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Soudain, quelqu’un chantait d’une voix claire — un cantique pitoyable ou une gaie chansonnette.

« Et aussitôt les hommes gardaient un silence profond, — pour bien écouter le gwerz ou la sône — où un clerc nous dit sa douleur — d’être délaissé par celle qu’il aime.

« Souvent arrivait, à la nuit close, — un mendiant ambulant, qui demandait asile, — trempé par la pluie, les membres glacés, — fatigué, affamé et venant de l’Argoët[1].

« Et, quand il avait soupe, il s’approchait du feu, — bien accueilli par nous tous, grands et petits, — et il chantait alors gwerz et sônes, — et il contait des contes et toutes sortes de merveilles ».

Vous savez maintenant, tout aussi bien que Noël du Fail et Luzel, qui nous ont fourni le décor et les personnages, ce qu’est une veillée dans un manoir breton. L’exquise bonhomie de nos hôtes a dissipé sans doute vos dernières préventions ; pour les chasser tout à fait, il n’est que de prendre une escabelle et de vous approcher de l’âtre. Les grâces sont dites ; le maître du logis, après s’être assuré que son premier valet avait entouré soigneusement d’un bouchon de paille chacun des arbres du verger, puis qu’il en avait frappé les branches avec le karzprenn[2]précau-

  1. On divise souvent (v. la note de la p. 3) la Bretagne en Armor (pays de la mer) et Argoët ou Argoat (pays du bois).
  2. « Le plus terrible épouvantail des esprits de la nuit, dit M. Sauvé. C’est la petite fourche en bois dont se servent les cultivateurs bretons pour débarrasser le soc de la charrue du fumier et de la terre qui s’y attachent. »