Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/27

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extraordinaire que cela paraisse, il y a un public pour les poètes en Bretagne. Dans tous les pardons, dans les foires, aux moindres marchés, vous rencontrerez, adossé contre le pignon de l’église ou juché sur le socle du calvaire, un de ces bardes gyrovagues, comme Yann-ar-Minous, parfois même toute une famille, une tribu véritable de chanteurs ambulants, homme, femme, enfants, qui, devant un carreau de serpillière ou de lustrine étalé sur la route et faisant office d’éventaire, hurlent à plein gosier la sône ou le gwerz fraîchement composé par l’un d’eux. Et le public fait cercle pour les entendre. L’air est aisé à retenir et la chanson ne coûte que deux sols. Il est vrai qu’elle est imprimée en têtes de clous, sur papier à chandelle. L’imprimeur fait volontiers les frais de ce tirage élémentaire, mais la chanson devient sa propriété. Pour ses droits d’auteur, le poète ne peut prétendre qu’à deux rames gratis ; c’est tout son bénéfice, auquel s’ajoute le produit de la vente au détail.

Minous, bon an, mal an, retirait ainsi trois cents francs de ses chansons. Maigre chevance, malgré tout, et qui n’aurait pas suffi pour lui donner à vivre et aux siens. Il avait épousé une femme de Pleumeur-Gautier, qui travaillait en journée, et il en avait eu quatre garçons, dont il voulait faire des marins. L’automne venu, Minous retournait près d’elle et se louait à son tour pour les travaux de semaille et de labour. Comme la cigale, il ne chantait qu’aux mois chauds. Il se mettait alors en route, son canapsa en peau de vache sur l’épaule, qui contenait son bagage de papier imprimé, et on le voyait à la Clarté, à Rumengol, à la