Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/28

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Palud, à Callac, aux extrémités du pays. Voyageant de nuit et de jour, sa petite pipe noire fichée dans un creux des dents, il s’arrêtait à la première ferme venue ou bien avisait une meule de paille et s’y étendait pour dormir aux étoiles. Tout lui était bon, jusqu’à la douve, qui lui faisait un lit maternel aux soirs de grande beuverie. Car il n’avait pas d’aversion pour le gwin-ardent ; il ne tenait point pour méprisable une chopine de cidre frais ou de chuféré, qui est peut-être l’hydromel des anciens Celtes ; il n’eût point été Breton sans cela. Boire à la bretesque est synonyme de bien boire et longtemps, depuis Rabelais. En été, son quartier général était Bégard, qui est au cœur du pays trégorrois. Il rayonnait de là jusque sur la Cornouaille et le Goélo. Content de peu (il me confia qu’il avait fait une fois dix-huit lieues pour gagner quatre sous), se reposant de l’avenir sur sa bonne chance, du présent sur sa bonne humeur, certain, du reste, qu’il trouverait toujours à l’étape du soir, sinon de magnifiques bombances, du moins l’écuellée de soupe à l’oing, le chanteau de pain bis et la botte de paille doux-fleurante qu’on ne refuse jamais aux mendiants, il vivait ignoré de l’Institut, ignorant lui-même de sa gloire, ayant composé plus de trois cents chansons, dont quelques-unes, comme la Confession de Jean Crenard et Va douç coant Mari, devenues rapidement populaires, et, pour prix de sa constance, n’aspirant qu’à posséder un jour son petit escabeau dans le paradis, entre Narcisse Quellien et Jean l’Aveugle, aux pieds du bon saint Hervé, patron des bardes de Bretagne…

Un patronage qui n’est point une sinécure : les bar-