Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/271

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de Noël, devaient « hucher » par trois fois en son honneur. Ces coutumes ont disparu avec l’ancien régime. Ne nous en exagérons pas l’esprit de servilité. Il est constant tout au moins qu’en Bretagne le paysan, respectueux de la hiérarchie féodale, vivait cependant avec son seigneur dans une familiarité de relations qu’on ne connaît pas toujours au XIXe siècle de patron à salarié. Les repas se prenaient en commun, et c’est encore l’habitude chez les fermiers du bas-pays qui reçoivent les domestiques à leur table. La vraie égalité est là ; mais elle n’apparaît jamais mieux qu’au cours de cette bienheureuse vigile. Devant le foyer, à la maigre lueur des suifs fichés dans leurs grands chandeliers de fer blanc, sous les côtes de lard jaune et les vessies d’oing pendues aux solives, maîtres et serviteurs hument à plein gosier le cidre chaud qui fait « passer » les massives crêpes de sarrazin et les lourdes tranches de fars-breset[1]. La joie met une flamme dans les yeux des plus cassés ; mais les morts ne seront pas oubliés pour cela.

Ils ont leur place, en Bretagne, dans toutes les cérémonies domestiques. Sur les tables desservies, tandis que les convives regagnent leurs lits-clos, leur part est réservée et l’on dit que les pauvres âmes, déliées après la messe de leur attente nocturne, viennent goûter à ces tables l’illusion d’un recommencement d’existence. Une fois dans l’année, et c’est justement à Noël, leurs tourments cessent ; les flammes du Purgatoire s’éteignent ; un sourire passe sur le monde.

  1. Gâteau de farine, de pruneaux et d’œufs.