Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/341

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rues avoisinantes. On l’avait averti de crier de toutes ses forces et de s’arrêter après vingt minutes. Il y alla, comme on lui avait dit, à pleins poumons, et, quand les vingt minutes furent écoulées, il avait si bien électrisé ses auditeurs qu’il se portèrent d’enthousiasme à l’assaut de la mairie.

« Ils étaient plusieurs milliers de paysans, a raconté Jules Simon, et il n’y en avait pas un qui ne fût sérieusement résolu à m’embrasser. Je passai de main en main au milieu des cris les plus étourdissants et je me trouvai dans la rue avant que mes pieds eussent touché la terre. Je commençais à avoir peur de ma gloire et à me demander si je sortirais vivant de tant d’accolades. Mes amis, qui avaient le même souci, firent amener nos chevaux au milieu de la foule. On nous hissa sur nos selles, et Savidan, qui a été depuis, et pendant plus de trente ans, le juge de paix de Lannion, se mit à toucher nos montures, c’est-à-dire à les frapper à coups de gaule et à les lancer au grand galop au milieu de cette multitude. « Nous allons les écraser, m’écriai-je. — Allez toujours ! » répondaient les autres en frappant à coups redoublés. Mon auditoire approuvait cette manœuvre, mais il n’entendait pas me tenir quitte et, prenant ses sabots dans ses mains, il nous suivit à la course en poussant des Jules Simon ! à fendre l’air. C’était comme une course de démons. Je n’ai jamais vu depuis ni pareil spectacle, ni pareil enthousiasme. »

Magie de l’éloquence ! Le plus curieux, il l’apprit par la suite, c’est que pas un des hommes qui étaient là et qui lui faisaient cette conduite triomphale ne