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NOS DERNIERS SANCTUAIRES


(Les îles bretonnes)




À M. Félix Hémon.


Je me souviens d’un de mes amis, peintre d’histoire à ses heures, qui avait campé son chevalet, à Bréhat, devant un bloc de roches rouges trempant dans une mer du plus parfait indigo et qui, dans ce décor paradoxal, trouvait tout naturel d’évoquer le radieux fantôme de Cléopâtre. Il y eût pu aussi bien, dans le blafard crépuscule d’un soir d’octobre, loger une rookery de pingouins ou de phoques à crinière. La mer de Bretagne est femme ; elle n’est jamais la même deux jours de suite ; on songe devant elle au mot de Claudien : dulce monstrum…

Il faut l’observer surtout près des îles. Elle n’y a nulle part, en été, un si limpide orient. En automne, au temps de ses mélancolies, sa grâce souffrante, ses langueurs y sont irrésistibles : la sirène n’est jamais plus belle que quand elle semble renoncer à nous séduire. Et, l’hiver ou à l’époque des équinoxes, les crises qui la secouent, son teint couleur de plâtre, sa bave, ses râles, ses colères passent en horreur eschylienne tous les drames du continent. D’autres mers ont des îles. Aucune plus que la mer bretonne.