Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

res et d’y exposer comme des reliques mon écritoire, ma boîte à mouches, mon pot-à-eau et mes mouchettes !

Il n’est pas jusqu’au livre de compte de Pilois qui ne participe à ces honneurs posthumes : on l’a couché tout ouvert dans une vitrine à la page même où je l’arrêtai pour la dernière fois. Voilà qui me confond et je ne savais plus si je devais rire ou admirer encore. Il vous paraîtra sans doute comme à moi que la postérité a bien du temps à perdre pour s’occuper de mes additions. Mais où mes yeux se sont brouillés pour tout de bon, ma chère enfant, c’est quand j’ai reconnu ce couvre-lit de lampas jaune que vous brodâtes pour moi à Grignan et où vous me sacrifiâtes tant d’heures précieuses qu’il eût mieux valu ne point dérober au plaisir et à la représentation. Sa vue ne fit point que m’attendrir : elle acheva de dissiper mes chimères et, considérant que, dans l’état où je suis, les vivants ne me sont plus bien redoutables, je prêtai l’oreille au hourvari du dehors et tâchai d’en découvrir la raison.

Ce ne fut pas une chose aisée, attendu qu’aux milieu des sarcasmes et des invectives dont on m’assassinait, je croyais démêler des bouts de phrases que je vous avais écrits et dont je me demandais ce qu’ils venaient faire céans. Mais justement, ma fille, ce sont ces méchants petits bouts de rien qui ont causé tout l’aria. Tant il y a que me voici sur la sellette, comme autrefois notre pauvre Pomenard pour s’être aventuré de battre monnaie sans la permission du roi, et fort exposée comme lui à perdre la vie, si Dieu n’avait déjà pris la précaution de me l’ôter. Ah ! ma fille, c’est à ce coup que le ciel nous montre comme notre abaissement est voisin de notre élévation et qu’il faut se garder du péché d’orgueil