Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/151

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de morale aux gens. Mais sa jovialité naturelle reprenait vite le dessus et il était surtout à l’aise dans la facétie.

Encore fallait-il qu’il se pliât aux exigences de l’« actualité ». Les bardes nomades ont été les premiers journalistes de la Bretagne. C’est par eux que la péninsule, ensevelie le reste du temps au fond de ses landes, entrait, les jours de foire ou de pardon, en communication avec le monde des vivants : catastrophes maritimes, tremblements de terre, batailles rangées, mariages princiers, changements de régime, de tout cela et du reste, assassinats, épidémies, etc., les bardes chargeaient leurs complaintes. Yann était bien obligé de se soumettre à la loi commune. C’était, comme ses confrères, essentiellement un « actualiste ». Tout événement lui était bon, petit ou grand, et il travaillait même, au besoin, sur commande.

Que d’épithalames il composa ainsi, qui lui étaient payés d’un gros écu de six livres et d’une place d’honneur à la table des mariés ! Une vieille femme d’Yzen-Laouen, Françoise Le Quer, m’a chanté celui qu’il « rima » en l’honneur de sa propre fille et de son gendre Jacot Raison. Le dit Jacques ou Jacot, par désespoir d’avoir vu sa belle causer trop tendrement, dans un pardon, avec un rival, n’avait-il pas fait la sottise de s’engager comme remplaçant — littéralement d’aller « vendre sa peau » gwerza é gro’chen chez un marchand d’hommes de Tréguier (marc’hadour a bréné konscrivet) ? Il revint du service au bout de sept ans et retrouva sa belle, qui l’avait attendu. Tant de constance de part et d’autre valait bien quelques rimes. Yann-ar-Gwenn ne les marchanda pas aux nouveaux époux. Je crois même qu’il contribua aux frais de la noce. Yann n’aurait