Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/18

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n’étaient là que des variantes d’un même texte, des synonymes du même étrange et mélancolique royaume où vous descendîtes pour la première fois certain jour de juillet 1886 ? Vous pensiez ne faire qu’y toucher. Au fond. Barrès, vous n’êtes plus jamais sorti des frontières de ce pays crépusculaire ; volontairement ou par une vertu secrète plus forte que vous-même, vous êtes resté jusqu’au bout son captif ; vous n’avez pas plus réussi à vous en évader que du Val-sans-Retour le chevalier de la légende arthurienne — ou plutôt vous l’avez traîné partout avec vous. Au moment où vous le croyiez le plus loin, il revenait, vous assaillait. Charles Maurras me contait qu’un jour que vous l’étiez allé voir aux Martigues, vous suiviez tous les deux un chemin ensoleillé qui menait, je crois, à l’étang de Berre et qui se voila imperceptiblement. Il n’en fallut pas plus. Cette légère cendre et je ne sais quel détail du paysage, une pierre grise sur la colline, vous transportèrent à trois cents lieues dans le Nord-Ouest et vous demandâtes à votre guide :

— Êtes-vous sûr que nous soyons en Provence ? Moi je crois que nous sommes à Saint-Pol-de-Léon et que nous allons retrouver Le Goffic et Vicaire devant une bolée de cidre.

Boutade, dira-t-on. Oui, si le trait était unique. Mais, quand je vois les brouillards de Bretagne vous suivre jusque dans votre Lorraine natale, en estomper et en amollir les lignes rêches pour vous aider à retrouver son ancienne figure, à réveiller, par l’imagination, ses puissances mystiques endormies depuis Jeanne, je ne suis plus tenté de sourire ; je commence à entrevoir quelle éducatrice a été pour vous cette Terre du passé, cette contrée de silence qui rend sous le pied un son de caveau et dont la leçon