Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/19

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s’infiltre dans les âmes comme ces gaz incolores et inodores qui ne font sentir leurs effets que longtemps après qu’ils ont pénétré tout l’organisme. Il est venu un moment où, sous son influence, le subtil et réaliste Lorrain que vous étiez, tout grâce, scepticisme, ironie légère, s’est changé en un grave « écouteur des morts » délibérément fermé à toute pensée, à toute religion, à toute beauté « qu’aucun mystère ne baignait plus ». Le plateau lorrain, ce jour-là, vous est apparu sous un autre aspect : vaste pays de la tristesse sans déclamation, il semblait prolonger vers l’Est la pathétique et un peu emphatique lande bretonne ; il n’était plus comme elle, sous les vents qui le raclent, qu’une grande bruyère hantée dont vous peiniez à harceler les fantômes dans le vain espoir de leur arracher un secret qu’ils ne confient qu’aux humbles de cœur et aux ignorants. Bordeaux a eu raison, dans son émouvant mémorial[1], d’appeler l’attention sur la préface si révélatrice que vous avez donnée jadis à la Ville enchantée de Mrs. Oliphant, traduite (avec quel art caressant, quelle entente des plus subtiles nuances !) par l’abbé Henri Brémond. Il appelle cette préface une « étonnante ronde de nuit à la Raffet », mais, en vérité, les morts n’y sont évoqués que de seconde main, si l’on peut dire, et ce qui m’a le plus frappé dans cette revue nocturne, c’est le sentiment très vif « et presque un peu douloureux » que vous y manifestiez d’avoir trouvé là, réalisée par une étrangère, « l’idée charmante », le « livret » sur lequel vous auriez le mieux fait chanter votre musique.

« Voilà, dites-vous, le livre que j’aurais dû écrire et que j’ai parfois entrevu. Fortune heureuse, for-

  1. Le Retour de Barrès à sa terre et à ses morts.