Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/200

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Et vous trouveriez chez d’autres contemporains ses césures libertines, ses hiatus, ses élisions, son dédain des règles et, chez les meilleurs, ses langueurs de rythme, ses assonances mystérieuses, ses phrases brusques, frissonnantes et sans liaison immédiatement sensible, même son vocabulaire personnel qui a fourni au symbolisme ce verbe plangorer, emprunté de la vieille souche latine et si beau et si large qu’on peut regretter qu’il n’ait pas survécu… Refuser tout métier à Corbière, comme le fait Laforgue, est une dure plaisanterie, et il aurait fallu convenir d’abord du sens qu’on donne au mot métier. Corbière avait lu les romantiques, Musset surtout et sans doute Baudelaire. On peut croire cependant que, dans sa lointaine province, les parnassiens n’avaient pas pénétré. Mais eût-il été homme à se plier au joug de leur étroite discipline ? Ce qui est vrai, c’est qu’assez fréquemment son vers excède ou ne remplit pas la mesure. Examinez-le d’un peu près : vous verrez que c’est seulement quand il contient une diphtongue. On dirait que, par esprit de contradiction, Corbière pratique la diérèse partout où les autres poètes se l’interdisent (à l’exception de Musset, qui n’était pas un très bon modèle à suivre sur ce point) et, réciproquement, qu’il fait exprès de se l’interdire là où ils se la permettent. C’est ainsi qu’il compte pa-piers, fi-èvre, mili-eu, pi-erre pour trois syllabes, nu-it, ci-el, pi-ed pour deux, et qu’en retour, dans tué, fiancé, diamant, muet, viatique, harmonieux, il compte la diphtongue pour une seule syllabe. Cette libre arithmétique dut fort choquer les parnassiens, gens méticuleux, qui pesaient les diphtongues au trébuchet : nous en avons vu bien d’autres depuis Corbière, et il serait peut-être exces-