Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/202

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dans les ténèbres, comme dit quelque part un personnage de Mæterlink. Oui, sans doute. Et le démon du poète, son besoin morbide d’effarer le bourgeois, peut-être tout simplement sa peur du ridicule, étouffaient presque tout de suite ces adorables préludes de viole. Un vertige l’emportait. Il redevenait la proie des mots. Et il assistait, témoin impuissant, mais lucide, aux convulsions de son misérable génie :

Va donc, balancier soûl affolé dans ma tête…
Je parle sous moi…

L’effroyable aveu, quand on y songe ! Et n’avons-nous pas prononcé un peu vite tout à l’heure ? N’y-a-t-il en effet que dandysme et affectation dans le « cas » de Tristan Corbière ? Vraiment on hésite et l’on a le droit d’hésiter, quand on connaît l’homme, déséquilibré de génie, incapable d’accorder les contradictions de sa nature, mais non de les analyser et celui de nos poètes qui, après Baudelaire, a porté peut-être sur lui-même le coup d’œil le plus aigu.


III.


Il était né, le 18 juillet 1845, dans la banlieue de Morlaix, à Coatcongar, domaine noble tombé en roture et dont il ne reste que d’admirables futaies et un beau puits de la Renaissance aux colonnes doriques recoupées. Ses parents appartenaient à la meilleure bourgeoisie morlaisienne. Tour à tour corsaire, journaliste, combattant de Juillet, romancier et négociant, Édouard Corbière — Corbière l’ancien, comme l’appelle M. Martineau — avait épousé en 1844, à près de cinquante ans, une jeune fille de dix-