Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/23

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de lui-même et utiliser ses émotions en vue de fins rationnelles et précises, au point d’avoir pu tromper les contemporains par cette organisation toute classique de sa sensibilité. Pas longtemps d’ailleurs, et, à moins de donner aux mots un sens qu’ils n’ont pas, il nous faut bien convenir qu’aucun écrivain n’a été autant que vous, depuis René, dans la vraie ligne celtique du romantisme français.

Une doctrine et une esthétique, non pas très neuves, assurément, mais dont vous aviez toute l’étoffe nécessaire pour renouveler la formule, voilà ce que vous a fourni Combourg et qui était le plus grand service qu’on pouvait vous rendre à ce moment ; l’avoir payé d’un simple gauchissement de la route que vous suiviez et qui, du scepticisme renanien, risquait de vous mener tout droit par l’égotisme à l’anarchie, c’est, je l’accorde, de quoi justifier pleinement votre gratitude envers René. Mais déjà, sur cette route scabreuse, aux haltes de ses halliers de rêverie, les philtres de la Viviane armoricaine avaient commencé d’opérer ; déjà vous commenciez à soupçonner qu’« un être porte en soi plus de puissance à s’émouvoir qu’il ne s’en connaît », vous aperceviez qu’une conception purement rationnelle du monde ne résout rien que dans notre cerveau et laisse toute vive, toute nue et grelottante sous les vents de l’Occulte, la pauvre sensibilité. Souvenez-vous, Barrès, de ces soirs où nous revenions à pied, dans une brume de lait, par les grandes landes de Bringuiller, de ces vastes silences qui s’établissaient soudain et qui se fermaient sur nous comme une banquise. C’était comme si le pouls de l’univers se fût arrêté. Et tout à coup quelque chose passait, un frémissement inexplicable des ajoncs, le cri bref d’un de ces oiseaux de mer qui n’ont qu’une