Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/268

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qui n’avait fait encore que se soupçonner. Et là vraiment était la merveille, le coup de fortune sans précédent : un aiguillage nouveau, une orientation nouvelle des lettres canadiennes, mises enfin sur leur vraie voie, pouvait résulter de cette révélation.

Mais il convient d’ajouter que cette réussite inespérée fut le prix d’un long effort, d’une observation appliquée et minutieuse de plusieurs mois ou plutôt d’une expérience personnelle menée dans des conditions que peu d’écrivains accepteraient de s’imposer. Il résulte en effet, des renseignements recueillis sur place par M. Damase Potvin, dont on ne saurait assez louer les multiples initiatives, que Louis Hémon, venu en flâneur dans la région forestière de la Péribonka avec des ingénieurs « qui exploraient, écrit-il lui-même à sa sœur, le tracé d’un très hypothétique, en tout cas, très futur chemin de fer », renonça un beau jour à cette vie de farniente pour s’engager, « à raison de 8 dollars par mois, au service d’un cultivateur de l’endroit du nom de Samuel Bédard ». Comment s’étonner qu’il ait décrit avec une telle sûreté, une telle profondeur d’accent, l’âpre et rude existence des défricheurs canadiens, puisque lui-même, pendant dix-huit mois, épousa cette existence, fut un de ces défricheurs ? Pour qu’on se défiât moins de lui chez ses hôtes et qu’il pût surprendre au naturel leur parler et leurs gestes, il eut soin de leur cacher sa vraie personnalité, ne souffla mot ni de ses antécédents ni de ses projets littéraires ; il passa parmi eux comme un ouvrier de la terre, a pu dire justement notre consul général au Canada, M. Ponsot, avant de se révéler à eux, par son roman posthume, sous sa qualité véritable d’ouvrier de lettres, un ouvrier qui, par son coup d’essai, s’égalait à un maître. Et, le livre publié, il s’en dégageait une