Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/35

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de leurs crêtes avec des cris aigus. Une tradition locale veut que ces romantiques cailloux n’aient pas toujours habité la rive plougastéloise : ils flanquaient la rive opposée du fleuve, quand le diable, certain jour, las d’entendre célébrer sur tous les tons la charité du peuple léonard et pour en avoir le cœur net, prit une besace et un bâton, s’habilla en « chercheur de pain » et se rendit, ainsi déguisé, dans les chaumières de Kerhuon. Par malheur, il avait négligé de changer aussi de figure ; les Léonards, qui ne sont point des sots, eurent vite fait de l’éventer. Repoussé de partout, vilipendé, houspillé, notre « Polik[1] » ne savait plus à quel confrère infernal se vouer. Cependant, avant de jeter le manche après la cognée, il voulut tenter une dernière expérience et se présenta chez la veuve d’un cultivateur qui ne fut pas plus dupe que les autres de son travestissement, mais qui, plus avisée, réfléchit qu’obliger le diable n’était peut-être pas faire une si mauvaise opération. Notre Polik se lamentait, criait famine.

— Entrez, pauvre homme, dit la veuve, et, qui que vous soyez, mangez et buvez à votre contentement.

Ce disant, elle plaça devant lui une chaudronnée de bouillie d’avoine et une pleine bassinée de lait doux que le gouliafre engloutit instantanément.

— Eh bien, demanda la veuve, quand il eut mangé et bu, êtes-vous satisfait ? En voulez-vous encore ?

— Merci, dit le diable, j’en ai jusque là (et il ponctua d’un rot sonore sa déclaration et son geste). Mais, par Belzébuth, j’estime qu’on a fort exagéré l’esprit de charité des Léonards. Puisque vous faites exception au commun, il ne sera pas dit que, moi

  1. Surnom du diable en Bretagne. On y ajoute quelquefois une épithète : Pol gornek (Paul le cornu).