Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/357

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cun leur pennérez et que celle de Kerario, un jour que ses parents s’étaient rendus à Lannion pour « acquitter leurs rentes »[1], pria son amie de lui tenir compagnie. Sans doute les valets, eux aussi, avaient pris la clef des champs, car le feu s’était éteint dans le loyer et, comme, en ce temps là, on ne connaissait pas les briquets ni les allumettes chimiques, l’une des pennérez se rendit au Runigou chercher de la braise dans un vieux sabot ; l’autre rentra les bêtes, distribua de l’avoine aux chevaux, du foin au bétail et prépara la bouillie de pommes de terre pour les cochons. Puis les deux amies se couchèrent et tout alla bien d’abord. Mais, vers le milieu de la nuit, un pèlerin se présenta qui se disait égaré et, pour l’amour de Dieu, suppliait qu’on lui ouvrit. Les deux jeunes filles avaient bon cœur, mais le cœur, chez elles, n’étouffait pas la prudence et, tandis que la pennérez de Trovern parlementait à travers la porte, la pennérez de Kerario montait à l’étage et, par la petite fenêtre de la tourelle[2], jetait un coup d’œil dans la cour. S’il faisait clair de lune ou si la jeune fille, comme les chats, avait l’œil noctiluque, je ne saurais vous dire : toujours est-il que ce coup d’œil lui suffit pour identifier le prétendu pèlerin et reconnaître, à sa grande barbe rousse, un chef de brigands célèbre dans la contrée — mais dont mes conteurs n’avaient pas retenu le nom. D’autres, à cette vue, se fussent évanouies ; chez la pennérez de Kerario, il n’en résulta que la volonté bien arrêtée de faire face à l’imposteur : descendant quatre à quatre la « vis » (esca-

    Lannion, apparentée à Renan, j’ai entendu conter par celui-ci qu’il y passa ses vacances d’écolier, en 1830. « J’y lisais Télémaque, me disait-il, et je me souviens qu’à un moment de ma lecture une femme entra et dit à ma mère : Ar Revolution craz zoc Paris (La grande Révolution vient d’éclater à Paris). »

  1. Ce sont donc bien des tenanciers ou convenanciers. Dans une autre variante, que j’ai entendue d’un vieux mendiant chez Mme Bourdon, à l’Île-Grande, les parents de la pennérez de Kerario sont nobles et possèdent en outre le manoir de Trovern dont les parents de la seconde pennérez ne sont conséquemment que les fermiers : de fait ils leur donnent congé pour les punir de la négligence de leur fille qui, dans cette variante, s’est dérobée et n’a pas passé la nuit à Kerario.
  2. C’est une des échauguettes dont il a été question dans une note précédente et qui s’ouvrent, comme des armoires, à l’intérieur de la grande chambre du corps de logis principal.