Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/358

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lier tournant), elle court à la porte, explique au coquin qui s’impatiente qu’après bien des recherches elle a trouvé la clef, mais que la porte a été fermée par ses parents et ne peut s’ouvrir de l’intérieur.

— Passez donc la main par le trou du chat, lui dit-elle, J’y déposerai la clef et vous pourrez ouvrir la porte du dehors.

Le bandit n’y voit pas malice et introduit sa main par la chatière ; la pennérez de Kerario, qui s’est munie d’une hache, la lui tranche au ras du poignet. Cris, blasphèmes, malédictions de l’amputé qui lance coups de sifflet sur coups de sifflet pour appeler ses hommes. Ils sont une trentaine avec lesquels il se flatte d’emporter le manoir, mais l’huis est solide, le coq chante, l’aube pointe, et il lui faut lever le siège sans avoir rien obtenu.

À quelque temps de là, un marchand ambulant, un de ces « mercerots de Rennes »… ou d’ailleurs dont parle le bon Villon et comme il s’en voyait tant jadis dans nos campagnes, menant par la bride un cheval de bât qui portait leur pacotille, se présente au soir tombant à Kerario avec un assortiment de dentelles, châles, miroirs, bijoux, affiquets de toute sorte qu’il étale sous les yeux de la pennérez et de ses parents. Il a toutes les qualités de l’emploi : manières captieuses, faconde intarissable. Glabre comme un clerc en outre et ganté comme un gentilhomme, mais, pour déballer sa marchandise comme pour manger à table, il ne retire jamais qu’un gant, toujours le même, et son œil est le plus fourbe qui soit. On n’y prend pas garde, tant il vous étourdit de son bagout et s’entend à circonvenir les gens : à la mère il fait cadeau d’un chapelet bénit par le pape ; au père, d’une pipe neuve et d’un paquet de tabac ; il n’est pas jusqu’aux domestiques dont il ne s’assure la connivence par quelque générosité bien placée. Seule, la pennérez, sans savoir pourquoi, se méfie et refuse la bague qu’il veut lui passer au doigt. Mais il y ajoute une croix d’or et son petit cœur commence à s’ébranler : elle le trouve moins déplaisant d’heure en heure. Quant aux vieux, il y a beau temps que leur conquête est accomplie et il est vrai qu’à table, où on l’a prié de prendre place, à la veillée, où il vide bol de flip sur bol de flip, le rusé compère, sans en perdre une bouchée ni un coup de cidre, ne cesse de se pousser dans l’esprit de ses hôtes. Et avec quel air de ne pas y toucher ! S’il parle des piles de linge entas-