Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/403

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dant des siècles ses imrans fabuleux à la recherche d’une terre de promission. Notre littérature, toute latine de fond et de forme, amoureuse des lignes nettes et plaçant la perfection dans le délimité et le fini, ignore longtemps ce parent pauvre qui, sur son bout de roc solitaire, ne se plaît que dans les jeux du clair-obscur et de l’indéterminé. Cependant, au moyen-âge, des landes et de la grève bretonne lui arrivent les soupirs étouffés de Tristan et d’Yseult, l’écho mélancolique du cor d’Artur, la voix mouillée des cloches d’Ys, et elle prête un moment l’oreille à cette mélodie frissonnante qui semble avoir traversé les couches d’un océan mystérieux.

Peut-être, sans la Renaissance et l’éblouissement que lui causa la révélation des trésors de l’antiquité, la littérature française fût-elle revenue trois cents ans plus tôt à ses origines celtiques. Athènes et Rome couvrirent l’appel de la sirène : Tristan, Yseult, Artur, le roi Marc, Gradlon-Meur reprirent sous les brumes de la mer occidentale leur sommeil enchanté. On croyait qu’ils ne l’interrompraient plus. Mais, en Bretagne, les morts ne sont jamais tout à fait morts. Ils sont sujets du moins à de brusques résurrections. Et ce fut le cas des héros celtes. Tout le vague, l’inquiétude sans cause dont nous souffrons aujourd’hui encore vient de ces lointains ancêtres que les bouleversements de la Révolution et de l’Empire allaient faire remonter à la surface de notre conscience. Ils y reparurent avec Chateaubriand, sous d’autres noms, mais avec la même sensibilité, la même imagination rêveuse, la même nostalgie incurable, sur le même fond de mer agitée, changeante et triste, symbole des orages de leur âme.

Et désormais, presque sans défaillance, c’est cette conception de la mer qui va s’imposer à tous les