Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/404

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contemporains, même à un Renan, si peu romantique pourtant à certains égards : « Je suis né… au bord d’une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. On y connaît à peine le soleil, etc. » ; même à un Baudelaire, qui n’avait pas l’excuse d’être né en Bretagne comme Renan et qui parlait de la mer étincelante des tropiques comme il eût parlé de la mer cimmérienne :

 
Homme libre, toujours tu chériras la mer…
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets…
……………vous aimez le carnage et la mort… ;


même à un Loti, le poète par excellence de la mer, qui en a dit tous les aspects, capté toutes les nuances, enregistré toutes les gammes, et dont la première impression devant elle fut « une tristesse sans nom, une impression de solitude désolée, d’abandon, d’exil… »

Un seul écrivain peut-être — si l’on met à part Frédéric Mistral[1] — échappa chez nous au sortilège et retrouva devant la mer l’âme hellénique et souriante d’André Chénier :

 
Le divin Océan avait quitté ses grèves…
O caps voluptueux, qui courez mollement
Vous plonger tout du long dans l’humide élément…


Ces vers sont de Maurice de Guérin et ils ont été écrits en 1833 à quelques lieues de Saint-Malo. On ne peut pas être plus loin — ni plus près à la fois de Chateaubriand. Mais le fait est que, débarqué en romantique au Val de l’Arguenon, Guérin se rembarqua complètement guéri, tant fut forte l’émotion

  1. Et, sans doute aussi, avant lui, parmi les poetœ minores, Joseph Autran, provençal comme l’auteur des Îles d’or.