Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/411

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Que voilà bien cette race bretonne, la plus nostalgique peut-être qu’il y ait par le monde et qui, partout en exil, portant en tous lieux sa soif d’infini, ne connaît d’autre refuge que le songe contre les platitudes ou les tristesses de la réalité ! Elle s’y plonge avec délice ; elle y boit à longs traits l’illusion. Le chant pour elle, certaine mélopée en mineur, trois ou quatre notes toujours les mêmes, c’est simplement une manière d’endormir son mal, un chloral plus léger que ceux auxquels sa faiblesse native la fait trop de fois recourir, moins par goût de l’alcool que pour s’arracher aux dures contraintes du présent. Dans ce même secteur de l’Artois, deux sapeurs morbihannais, Mauduit et Cadoret, surpris par l’explosion d’une mine, travaillèrent quarante-huit heures à se frayer une issue : sans vivres, sans eau, presque sans air, bloqués dans un espace si étroit qu’ils ne pouvaient opérer de conserve, ils se soutenaient, me contait le général Descoins, « en se chantant des airs bretons ».

Airs étranges, d’une douceur et d’une mélancolie indicibles, de ceux certainement, comme le pense Gomès Carillo, auxquels fait allusion le poème allemand des tranchées :

« Dans l’ombre, dans nos trous, nous entendons les Français entonner leurs chansons qui nous arrivent mystérieusement, flottant dans les ténèbres, douces mélodies où palpite une nostalgie à peine perceptible, comme l’écho suave des jours lointains de bonheur, comme un souffle qui languit et s’évanouit… »

Par quelle mystérieuse transformation de leur être, ces sentimentaux, ces nostalgiques deviennent-ils soudain si terribles dans la mêlée, foncent-ils sur l’ennemi avec cette ardeur sombre, tiennent-ils, comme les bernicles de leurs roches, sur les positions